La fin novembre étant réservée à Thanksgiving, les républicains se retrouvent en piste moins de deux semaines après le débat précédent, cette fois à Milwaukee, pour un événement organisé par Fox Business et le Wall Street Journal. L’économie constitue à nouveau le cœur des échanges, avec cette fois un angle d’approche essentiellement orientés sur les inégalités, la création d’emplois et la croissance. Ces questions, Chris Christie et Mike Huckabee en débattront avec les seconds couteaux et pas en prime-time, leurs sondages n’atteignant pas les critères définis pour accompagner sur scène les candidats recueillant les meilleurs sondages. A noter enfin que la prestation des modérateurs sera suivie avec attention après le fiasco de CNBC lors de l’événement précédent.
Résumé
- Avec deux concurrents en moins, des thématiques bien structurées et moins d’interventionnisme de la part des modérateurs (sans pour autant s’abstenir de relances lorsque les candidats manquent de précision ou noient un peu trop le poisson), le débat a gagné en fluidité, sérénité et clarté.
- Peu d’originalité en revanche pour ce qui est des sujets et des tirades, beaucoup de propos et positionnements ayant déjà été entendus lors des débats précédents, parfois (quasi) au mot près.
- Difficile de parler de vainqueurs ou de perdants. Les quelques prises à partie furent en général équilibrées, et il n’y eut ni bourdes majeures ni envolées exceptionnelles.
- Parmi ceux pour qui la soirée fut plutôt bonne : Rand Paul, qui, a été davantage en vue que lors des autres débats et a laissé une bonne impression, cultivant de manière efficace son orthodoxie conservatrice absolue et sa différence de vision en matière de politique étrangère.
- Bonne soirée également pour Marco Rubio qui a continué à tracer son sillon tandis que son rival n°1, Jeb Bush, sans être aussi terne qu’à Boulder, ne s’est pas transcendé.
- Continuité également pour John Kasich (de plus en plus combatif et interpellant directement ses rivaux sur des sujets où il estime qu’ils disent n’importe quoi), Ted Cruz (lui aussi combatif, quoique dans un style différent, plus agressif et testostéroné), Ben Carson (qui a pu procéder à une mise au point concernant les attaques sur son passé) et Carly Fiorina (à nouveau très « faucon » et s’imposant sans gêne dans les conversations).
- Donald Trump ? Il n’a pas sorti de provocations énormes mais a dû gérer quelques taquets, notamment de la part de Bush et Kasich sur son « mur » anti-illégaux mexicains.
Les thèmes abordés
1°) Économie, budgets, salaires, emploi et croissance
- Pendant les deux tiers du débat (d’une durée de deux heures), les candidats ont répété (avec quelques rares nuances) le credo déjà entendu pour remettre le pays sur la voie du succès économique : réforme fiscale drastique (tous, dont Fiorina répétant qu’elle veut un code fiscal réduit à trois pages), moins de régulation (Bush évoqua la nécessité de supprimer toutes les mesures prises par Obama concernant les secteurs de l’Internet, de l’énergie, de l’eau …), respect de l’équilibre budgétaire, réductions massives des dépenses fédérales (Cruz : suppression de cinq agences fédérales, dont le Commerce, l’Énergie …), suppression de l’Obamacare (quasi tous), rigueur opérationnelle dans la gestion des budgets (Fiorina : savoir exactement où va chaque dollar dépensé + responsabilisation des politiciens), fin du « crony capitalism » (capitalisme de copinage à Washington, stigmatisé par Cruz et Fiorina parce que favorisant les lobbys et pénalisant les PME), etc., toutes ces mesures devant permettre de restaurer une croissance atone.
- Rubio insista aussi à nouveau sur le besoin d’améliorer le système éducatif et de former les gens aux emplois du XXIe siècle, mais n’a pas détaillé comment.
- Sur le salaire minimum, Trump a été clair : ce serait une erreur de l’augmenter à $15/h (il est actuellement de $7,25/h, même si les États peuvent individuellement décider de le relever), des salaires trop élevés pénalisant la compétitivité. Carson (qui défend un salaire minimum différencié pour les jeunes) a abondé dans ce sens, déclarant que l’important est d’offrir aux gens une opportunité d’entrer sur le marché du travail et qu’augmenter le salaire minimum irait à l’encontre de ce but. Troisième candidat interrogé sur ce sujet, Marco Rubio a été sur une ligne similaire.
- Petite pique des modérateurs soulignant que davantage d’emplois ont été créés sous les administrations Clinton et Obama que sous celle de W. Bush. Réponse de Paul : « les inégalités sont pires dans les villes et états gérés par les démocrates ». Jeb Bush ajoute : « Regardez un peu la qualité des emplois créés : des emplois à bas revenus ! »
- La Fed a également été sous le feu des critiques de Paul et Cruz.
- Sécurité sociale : Ted Cruz répéta que les promesses faites aux retraités devaient être respectées mais que les jeunes générations devraient s’adapter.
- Sur la réforme fiscale, les points de vue divergent. Trump veut un impôt progressif, Carson (qui veut supprimer toutes les niches et exemptions) veut un taux d’imposition de 15% identique pour tous, Cruz (qui veut supprimer l’IRS) aussi mais de 10% pour les individus et 16% pour les entreprises, et Paul que les sociétés payent pour la sécurité sociale et n’avoir que deux sortes de déductions possibles (les emprunts immobiliers et la charité).
- Passe d’armes entre Rubio et Paul : alors que le premier est interrogé sur le coût de son projet fiscal en faveur en faveur des parents d’élèves, le second intervient pour souligner qu’une approche augmentant les dépenses n’est pas compatible avec une attitude conservatrice. Rubio contre-attaque en stigmatisant l’isolationnisme de Paul et sa volonté de réduire les moyens militaires. Paul rétorque que le pays n’est pas à l’abri d’une banqueroute. Cruz intervient : « Il faut supprimer les mauvais subsides ».
- Trump a été très critique sur le TPP (Trans-Pacific Parternship ou Accord de partenariat transpacifique, un traité multilatéral de libre-échange impliquant des pays d’Amérique et de la région Asie-Pacifique), déclarant qu’il était un cadeau pour la Chine, que la manipulation monétaire n’était même pas abordée et qu’il fallait privilégier des accords individuels pays par pays. Paul fit alors opportunément remarquer que la Chine n’était pas incluse dans ledit traité et Kasich ajouta plus tard que celui-ci était justement une arme stratégique face à ce pays.
- Trump insista sur le besoin de régler le « corporate inversion », ce problème sur lequel démocrates et républicains s’accordent depuis des années mais ne trouvent pas de solution.
- Sur le changement climatique : Paul veut trouver un équilibre entre environnement et économie (« nous avons besoin d’énergie sous toutes ses formes, y compris charbon et pétrole, ce serait une erreur de démanteler ces industries »).
2°) Secteur bancaire
- Interrogé sur le risque que le secteur bancaire ne se crashe une fois de plus dans les années à venir, Bush répond qu’il faut augmenter les exigences en matière de capital et que la loi Dodd-Frank promulguée par Obama est mauvaise. Interrogé sur le besoin ou pas de scinder les grosses banques, Carson répond : « il faut une politique qui permette d’éviter qu’elles grandissent aux dépens des petites entités ».
- Cruz veut punir davantage les responsables de la crise boursière et financière, et déclare que si les banques devaient à nouveau se crasher, lui ne bougerait pas le petit doigt pour les sauver.
- Kasich intervient pour signaler que les vues philosophiques ne fonctionnent pas lorsque confronté à la réalité, affirmant qu’il faut élire quelqu’un qui a fait ses preuves, pas un apprenti.
- Fiorina en profite pour recaser son couplet sur le gouvernement qui crée le problème.
3°) Immigration
- Trump a réitéré sa volonté d’expulser 11 millions d’illégaux et en a appelé aux mânes d’Eisenhower et à l’opération Wetback pour montrer que cela était possible. Il a également répété son projet d’édifier un mur, suggérant à ceux qui doutent de l’efficacité d’une telle mesure de regarder Israël.
- Kasich réagit en soulignant la nécessité de sécuriser la frontière, mais que renvoyer 11 millions de gens au Mexique est idiot et qu’il faut penser aux familles et aux enfants. Bush adopte le même point de vue, affirmant qu’il faut être pragmatique et permettre à ceux qui le méritent d’obtenir un statut légal, éventuellement en payant une amende (à quoi Trump répond que c’est injuste pour ceux qui respectent les procédures et sont en attente d’une réponse)
- Cruz jugea que résumer le débat à « les démocrates sont pour l’amnistie et nous pour l’expulsion » revenait à donner la victoire aux démocrates. Il ajouta que les points de vue seraient différents si les illégaux traversant la frontière étaient des banquiers ou des journalistes tirant les salaires de la profession vers le bas, ajoutant que faire appliquer la loi ne signifiait pas être anti-immigrant, rappelant son propre passé et ce qui se passe dans d’autres pays.
4°) Politique étrangère
- Les échanges ont été pour le moins polarisés, avec d’un côté Paul et Trump opposés à une approche interventionniste, et de l’autre le reste des participants, partisans de mesures fortes et musclées.
- Carson est en faveur de l’envoi de troupes spéciales en Syrie et Afghanistan pour entraîner les troupes locales et ne pas laisser Poutine imposer son influence au Moyen Orient. Il insiste aussi sur la nécessite que Daech apparaisse comme un « loser », et pour cela il faut détruire son califat en Iraq.
- Pour Bush, c’est parce qu’Obama ne croit pas dans le leadership américain que le califat est en place. « We don’t have to be the police, but we must be the leader, we must be involved »
- Fiorina revient avec toute une série de mesures visant à montrer à la Russie toute la force et la détermination des USA (exercices en Baltique, troupes en Allemagne, missiles en Pologne …).
- Rubio : « Poutine est un gangster, il ne comprend que la force ». Obama l’a laissé agir, se permettant dans le même temps de ne pas traiter avec respect la seule démocratie au Moyen Orient (Israël).
- Kasich : si les États-Unis subissent une cyberattaque (de la part de la Chine), ils doivent riposter. Sur la Syrie : oui au « no-fly zones ». Sur la Russie : il faut rassurer la Finlande et les pays baltes, comme il faut montrer que les États-Unis sont impliqués au Moyen Orient. Une parole positive sur Obama : Kasich se félicite de sa décision d’avoir envoyé des navires militaires en mer de Chine (cf. les îlots artificiels).
- A l’opposé, Trump veut que l’Europe s’investisse davantage dans le problème ukrainien, soulignant que ce n’est pas aux États-Unis de tout régler alors que les autres ne font rien. Il insiste également sur tous les problèmes d’ordre intérieur qu’il faut résoudre et qui devraient avoir priorité. Sur la Syrie, il souligne que personne ne sait qui sont les rebelles. A contrario, il avait déclaré plutôt vouloir renforcer les dépenses militaires pour que personne n’ait envie de se frotter aux USA.
- Paul explique que vouloir imposer une « no-fly zone » là où les Russes volent déjà, c’est ouvrir la porte à conflit qui demandera l’envoi de troupes. Sur la Syrie : « il ne faut pas armer nos ennemis ».
Bilans individuels
Kasich : toujours dans sa veine combative, il n’hésite pas à ferrailler avec Trump, revient inlassablement sur son bilan à Washington et en Ohio et répète qu’il faut un candidat d’expérience et qui a fait ses preuves, pas un apprenti. Problème : c’est un modéré et certaines positions lui valent des huées (cf. en cas de faillite bancaire, quand il déclare qu’il faudrait séparer le cas de ceux qui peuvent supporter la perte de leurs dépôts de ceux qui ne le peuvent pas – sous-entendu : aider les seconds, pas les premiers).
Bush : du mieux mais pas de quoi pavoiser. Plus ferme dans sa manière de parler, mais pas tout le temps (cf. son interruption au beau milieu d’une réponse, voulant visiblement faire une digression avant de raviser). N’a rien entrepris contre Rubio. Plus offensif sur Trump, mais n’a pas eu de moment fort.
Rubio continue de mettre en avant son côté « nouvelle génération » prête à répondre aux défis du XXIe siècle alors que Clinton et les démocrates, qui sont responsables de la situation actuelle, représentent les recettes du passé. A été le seul à parler d’éducation. Eu une passe d’armes avec Paul concernant ses plans de dépenses et son degré d’orthodoxie conservatrice ; s’en tira en l’attaquant sur l’isolationnisme de son contradicteur et en insistant sur l’absolu besoin d’avoir une Amérique forte militairement.
Fiorina continue de vilipender le gouvernement et d’en appeler à une réforme drastique du code fiscal ainsi qu’à plus de rigueur budgétaire et à défendre les PME. N’hésite pas à s’imposer dans les conversations au point de s’attirer une remarque de Trump (« pourquoi interrompt-elle toujours tout le monde ? ») alors qu’elle coupait la parole à Paul. Sa tirade de conclusion fut pour prédire un futur apocalyptique en cas d’élection de Clinton et affirmer qu’elle pouvait la battre.
Trump est de plus en plus modéré dans son attitude. Non pas qu’il renie ses positions controversées précédentes (il les défend bec et ongles, telles celles concernant l’immigration) mais il n’en lance pas de nouvelles et s’est calmé en matière d’attaques personnelles, ne passant à l’offensive que si pris à partie, comme lorsque Kasich qualifia « d’idiot » son projet sur la déportation des illégaux, ou quand Fiorina moqua sa rencontre avec Poutine sur un plateau télé. Il ne réagit cependant pas lorsque Paul lui décocha une belle flèche – quoique passée inaperçue – en signalant, au terme de l’exposé critique du magnat sur le TPP et les cadeaux offerts à la Chine, que ce pays n’était pas concerné par ledit accord. Bref, c’est le deuxième débat où Trump adopte un profil moins flamboyant, moins provocant. Le signe qu’il cherche à lisser son image afin de crédibiliser ? Ou celui d’un certain largage lorsque les discussions deviennent pointues ?
Carson : toujours la même attitude discrète, calme et posée, à une exception près, lorsque, interrogé sur les attaques médiatiques de ces derniers jours, il fit preuve d’humour (« merci de ne pas m’avoir interrogé sur ce que j’ai dit en quatrième secondaire ») et d’un peu plus de passion lorsqu’il répondit n’avoir aucun problème à ce que son passé soit analysé, mais qu’il ne pouvait être question de mensonges de la part des médias ni y avoir de double standard, prenant comme contre-exemple le traitement réservé à Hillary Clinton dans l‘affaire Benghazi, qu’il estime trop gentil. Il conclut par une description catastrophique des États-Unis actuels (dette, avortements, suicides …), une situation que les républicains peuvent changer à condition de ne pas se laisser prendre au piège du politiquement correct.
Après les mencheviks et les bolcheviks lors du dernier débat, Cruz a lâché une autre référence historique peu commune en évoquant le président Calvin Coolidge (il ajouta dans la foulée les noms de Reagan et JFK pour être certain que tout le monde comprenait bien à quel type de président il faisait allusion). A été plutôt bon dans ses interventions, toujours dans le registre d’irritation/colère contenue, et a eu des propos remarqués sur le soutien nécessaire aux PME et sur la question de l’immigration. Sa tirade sur le rejet de tout sauvetage des banques en cas de nouvelle crise commença de manière enflammée, mais le présentateur le calma en lui demandant ce qu’il ferait alors en faveur des épargnants ruinés, ce à quoi, sans se départir de son assurance, Cruz répondit en invoquant la Fed d’une manière peu claire et peu convaincante.
Paul a livré sa meilleure prestation, notamment quand les sujets abordés (politique étrangère, rigueur budgétaire) lui permirent de se démarquer nettement de ses rivaux. N’hésita pas à s’immiscer dans les débats quand il le jugeait opportun (les critiques de Trump sur le TPP), toujours de manière courtoise, calme et posée (comme Carson) mais avec une voix plus ferme, moins suave, et des propos montrant une bonne maîtrise des dossiers. Se positionne en champion de l’orthodoxie conservatrice.
Le résumé du débat en vidéo
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