Contexte : premier débat national pour les républicains après les attentats de Paris et San Bernardino. La sécurité du pays et la politique étrangère seront les seuls sujets abordés ce soir à Las Vegas. Trump a beau lâché énormité sur énormité, il n’en continue pas moins de caracoler en tête des sondages, au contraire de celui qui était son plus proche rival il y a un mois, Ben Carson, en chute libre. Dans la masse des challengers, le candidat qui monte est Ted Cruz. Fils d’un pasteur « born-again », il est très bien introduit dans la communauté évangéliste et se caractérise par des postures martiales en termes de politique étrangère, ces deux arguments le crédibilisant parmi l’électorat religieux depuis que la question du « commandant-en-chef » est devenue brûlante. S’il reste encore à bonne distance de Trump au niveau national, celui avec qui le sénateur cherchera sans doute avant tout à marquer le coup est Marco Rubio, qui le talonne dans les sondages. Les deux hommes ont un profil proche (même si Cruz est davantage « Tea Party » alors que Rubio tente de garder un pied côté establishment) et chercheront à se démarquer l’un de l’autre. Pour les autres candidats, ce débat (organisé par CNN) est quasiment celui de la dernière chance, en particulier pour Jeb Bush. A noter le retour de Chris Christie sur la scène principale, au contraire de Huckabee qui reste avec les seconds couteaux.

 

Résumé

 

Gants de boxeL’actualité était belliqueuse, le débat l’a été aussi, tant dans les postures que dans les prises à partie.

Niveau contenu, les candidats ont rivalisé de positions musclées pour contrer la menace terroriste, ou plutôt les « islamistes radicaux », Cruz n’étant pas le dernier à appeler à nommer les choses par leur nom. Le même Cruz réitéra sa volonté de lâcher un « tapis de bombe » sur l’État islamique et Trump celle d’interdire l’entrée des États-Unis aux musulmans et de s’en prendre aux familles des terroristes. Quant à Christie et Fiorina, ils ont affirmé être prêts à s’en prendre militairement à la Chine et à la Russie, permettant à Paul d’ironiser sur « les candidats à élire pour qui veut la Troisième Guerre mondiale ». Les autres participants (sauf Paul) se montrèrent en général également résolus à éradiquer Daech, quoiqu’en termes moins fleuris, et tous s’accordèrent sur le rôle désastreux joué par Obama dans la montée de cette menace (petite note discordante : Rand Paul, qui mit l’accent sur le rôle des faucons républicains).

Concernant les prises à partie entre candidats, il y en eut deux sortes :

  • d’abord celles concernant Trump, lequel finit par s’en offusquer, se plaignant ouvertement de l’attitude des journalistes de CNN qui relançaient sans cesse ses rivaux (Bush principalement) sur ses propos, et dont il qualifia l’attitude de « sad » et « unprofessional ».
  • ensuite, celles mettant en opposition Cruz et Rubio, celles-là aussi servies sur un plateau par les modérateurs du soir. Les deux hommes s’opposèrent notamment sur la question surveillance vs. vie privée, sur l’immigration et la protection des frontières, etc.

Bilan de la soirée ? Trump a continué de servir son discours populiste sans être déstabilisé par les attaques de Bush, lequel a sorti sa meilleure performance dans un débat, même si probablement pas au point de se relancer. Carson a été insignifiant, Christie et Fiorina ont été dans leurs rôles habituels mais ont eu du mal à exister et sont restés (nettement) en retrait. Cruz et Rubio ont tenté de se démarquer l’un de l’autre : avantage au Texan, porté par un discours martial et résolu efficace vu le contexte, et qui a bénéficié du soutien de Paul, lequel a attaqué Rubio sur ses vues en matière d’immigration et du contrôle des frontières. Ce même Paul s’est une nouvelle fois distingué des autres challengers par ses positions nettement moins va-t-en-guerre et son refus d’interventionnisme, certes peu porteuses au sein de l’électorat républicain, mais qui donne du relief au débat. Kasich enfin a confirmé être de mieux en mieux dans ce genre d’exercice, ses positions modérées le rendant toutefois inaudibles aux yeux de la base du GOP.

 

Les « battles »

 

1°) Trump contre le reste du monde (mais surtout Jeb Bush) 

« Trump contre le reste du monde », c’est ce qu’auraient souhaité les présentateurs. Dans la pratique, ils eurent beau tendre de nombreuses perches à cet effet, peu de candidats les saisirent : Rubio préféra s’en prendre à Obama lorsque interrogé sur l’idée du magnat d’interdire aux musulmans d’immigrer aux États-Unis ; Kasich ne parla pas du milliardaire dans sa réponse à une question concernant la fermeture d’Internet ; Christie fit pareil quand demandé si le point de vue de Trump de d’abord se débarrasser de Daech avant de penser à Assad était correct.

Même attitude pour Cruz, qui refusa toute polémique avec Trump, une première fois en stigmatisant lui aussi Obama à propos de la Syrie et des réfugiés alors que lui était demandé son avis sur les positions de Trump, et une deuxième en noyant le poisson quand interrogé sur des propos (tenus en privé) dans lesquels le sénateur du Texas mettait en doute la faculté de jugement de Trump pour gérer l’arme nucléaire.

De son côté, Trump n’avait aucune envie de s’en prendre à Cruz. Interrogé sur la contradiction entre deux de ses déclarations (« Cruz n’est pas qualifié pour être président parce qu’il n’a pas le bon tempérament et a agi comme un possédé quand il est arrivé au Sénat », puis, plus récemment, « Je suis ouvert à avoir Cruz comme colistier »), il a répondu qu’il avait appris à mieux connaître Cruz et que celui-ci avait un formidable tempérament.

Si la plupart des candidats ont donc évité de s’en prendre à Trump, deux en revanche s’y sont essayé : Rand Paul (un peu) et Jeb Bush (surtout). Ainsi, au détour d’une discussion sur les origines de Daech, le sénateur du Kentucky dévia de son propre chef sur une autre question, « Trump est-il un candidat sérieux ? », soulignant d’abord que ses propositions de fermer Internet ou de s’en prendre aux familles des terroristes étaient contraires à la Constitution, puis, s’adressant aux électeurs du milliardaire, leur demandant s’ils croyaient en la Constitution et s’ils voulaient la changer (Trump répondit en précisant ses idées mais sans prendre Paul à partie personnellement). Le candidat libertarien eut aussi l’une ou l’autre remarque indirecte sur Trump pendant le reste du débat, mais rien de véritablement agressif ni marquant.

Bush en revanche s’est montré opiniâtre et vindicatif dans sa volonté de bousculer Trump, déclarant que « les propositions de Trump ne sont pas sérieuses », qu’il est « great at the one-liners but he’s a chaos candidate. And he’ll be a chaos president ». Puis, au cours d’une passe d’armes sur le sort à réserver aux familles de terroristes, il ajouta que la proposition du milliardaire était « another example of the lack of seriousness (…) this is just crazy ». Enfin, il revint une troisième fois à la charge lorsque lui fut demandé pourquoi il était plus qualifié que Trump pour négocier avec Poutine, répondant entre autres que, lui, il serait un vrai commandant-en-chef, pas un agitateur-en-chef.

Les réactions de Trump à ces assauts ? D’abord, ses habituelles mimiques condescendantes dès que Bush parle de lui, l’air de dire « mais qu’est-ce qu’il raconte, celui-là ? Avec quoi vient-il comme bêtises ? » ; ensuite, les réparties directes et personnelles : « Jeb doesn’t really believe I’m unhinged. He said that very simply because he has failed in this campaign. It’s been a total disaster. Nobody cares », puis « Look, the problem is we need toughness. Honestly, I think Jeb is a very nice person. But we need intelligence and we need tough », cette dernière déclaration débouchant sur une passe d’armes où Bush coupa à plusieurs reprises la parole à Trump, lequel ne s’énerva pas. Il s’énerva en revanche lorsque le journaliste offrit pour la troisième fois de la soirée à Bush de l’attaquer, reprochant à CNN de polariser les débats sur sa personne et déclarant qu’une telle attitude était « unprofessional ». Bush en profita pour le railler (« if you think it is tough, imagine what it’s going to be like dealing with Poutine or President Xi (…) This is a tough business to run for president »), à quoi Trump répondit : « You are a tough guy, Jeb, I know » avant de rappeler les sondages qui le donnent largement en tête et Bush à un très faible niveau.

 

2°) Cruz versus Rubio (et Paul)

C’était le deuxième affrontement attendu de la soirée, et celui-ci a bien eu lieu, Cruz bénéficiant en outre à deux reprises du soutien de Rand Paul.

La première passe d’armes porta sur la sécurité nationale. Le présentateur revint sur une loi soutenue par Cruz (« USA Freedom Act », juin 2015) et critiquée par Rubio, qui trouve qu’elle ne permet rien qui ne pouvait être fait auparavant et qu’elle restreint au contraire les possibilités de repérer les terroristes. Paul intervint alors pour affirmer que « Marco » avait tort, que le pays ne serait pas plus en sécurité avec plus de surveillance et que ce qui importait était un meilleur contrôle des frontières, ajoutant que Rubio était « le candidat le plus faible en ce qui concerne l’immigration ». Rubio répliqua que les propositions de loi de Paul en la matière étaient si outrancières que personne ne voulait voter pour elles, à quoi le sénateur du Kentucky répondit avec condescendance : « Marco still misunderstands the immigration issue. Every attack since 9/11 has been through legal immigration, Marco wants to keep that, I want more rules to protect the border ».

Sur la lutte contre Daech, le journaliste demanda à Cruz de détailler ses intentions (e.a. sa volonté de lâcher un « tapis de bombes » sur l’État islamique), avant d’offrir à Rubio l’opportunité de réagir, non sans avoir au préalable rappelé ses déclarations comme quoi le « voting record » (la liste des votes) de Cruz au Sénat « [didn’t] match his rhetoric ». Rubio répondit que Cruz avait en effet voté trois fois contre le « Defense Authorization Act » et qu’il avait défendu des coupes budgétaires touchant l’armée. Cruz sous-entendit que Rubio était malhonnête dans ses reproches et qu’il avait beaucoup soutenu la politique étrangère de Clinton et Obama, puis affirma que Daech ne trouverait pas d’adversaire plus déterminé que lui. Le mot de la fin revint à Rubio, qui déclara que la stratégie de Clinton et d’Obama était « lead from behind », mais que celle de Cruz semblait être « not to lead at all ».

Sur le maintien en place ou non des dictateurs : Cruz prend les exemples de la Libye et de l’Égypte, et dit qu’il faut tirer les leçons de l’Histoire. Questionné sur son soutien à la destitution de Kadhafi, Rubio répond que la révolution libyenne n’a pas été initiée par les États-Unis et que Kadhafi avait du sang américain sur les mains, avant d’ajouter qu’il y a des régimes non-démocratiques avec lesquels il faut accepter de travailler, mais qu’il ne versera aucune larme sur les tyrans anti-américains. Cruz déclara alors que les rebelles modérés étaient un mythe (« comme la licorne mauve ») et qu’il fallait se focaliser « on American interests, not on global aspirations… ».

Autre divergence : l’immigration illégale. Rubio est partisan d’une approche visant à moderniser le système d’immigration et permettant de régulariser une partie des sans-papiers. Cruz intervient en disant que certains comme Rubio sont avec Obama pour promouvoir une amnistie massive, alors que lui veut sécuriser la frontière, ajoutant que Rubio et Obama vont permettre à davantage de réfugiés d’entrer dans le pays sans contrôle. Il conclut par une petite blague, disant que, si élu président, il construira un mur qui fonctionnera et « I’ll get Donald Trump to pay for it ». Rubio tente de remettre son grain de sel en affirmant que ses positions et celles de Cruz ne sont pas si éloignées que cela, Cruz le contredit et déclare que « Marco » veut créer de la confusion. Un peu plus tard, Paul s’en prendra une nouvelle fois à Rubio, l’accusant d’avoir plus de sympathie pour les points de vue démocrates en matière d’immigration que pour les principes conservateurs.

 

Bilans individuels

 

Portrait officiel de John Kasich en tant que gouverneur de l'OhioKasich réitéra ses appels à l’unité et tenta de promouvoir un message positif et d’espoir, au contraire des autres candidats qui jouèrent beaucoup sur l’idée d’un pays en pleine déliquescence. A la différence des autres débats, il parla peu de son bilan en Ohio, ne manquant toutefois pas de rappeler qu’aucun républicain n’avait jamais gagné une élection présidentielle sans avoir remporté cet État.

 

 

Chris Christie en 2015Christie : lui en revanche continue de mettre en avant ses états de services au New Jersey et en tant qu’attorney général. A pu sortir son numéro favori d’adulte responsable sifflant la fin de la récré lors d’une discussion houleuse entre Cruz, Rubio et Paul, déclarant que le peuple se fichait des échanges stériles tenus par des gens qui n’avaient jamais eu à prendre des décisions importantes dans un rôle opérationnel, alors que lui, pendant sept ans, il a eu à le faire. Pour le reste, son discours est de plus en plus dur et agressif, tant vis-à-vis d’Obama que des mesures à prendre pour préserver la sécurité du pays et des citoyens. A visiblement choisi de se radicaliser pour rester dans la course.

 

Carly Fiorina en 2015Fiorina : pas de changements de sa stratégie, ses cibles favorites restent le gouvernement fédéral, Hillary Clinton, etc., et elle continue de marteler des positions fermes et musclées en manière de politique étrangère (Russie, Chine, Corée du Nord …), visiblement prête à aller au combat. Son discours porte toutefois de moins en moins, son envolée sondagière a été brève, elle ne marque plus les débats, donne l’impression d’être mise sur le côté dans les discussions et de ne plus parvenir à s’y immiscer.

 

Ben Carson en 2015Carson : de plus en plus insignifiant. Sa première intervention fut pour se plaindre de son temps de parole. Sur son aptitude à être commandant-en-chef, il a affirmé avoir l’habitude d’établir les bons diagnostics en tant que neurochirurgien et qu’il fallait considérer la situation dans son ensemble, organiser, préparer, agir de manière ferme et résolue, et prendre les conseils des experts. A déclaré qu’il ne se présenterait pas en tant qu’indépendant à l’élection s’il n’était pas choisi par les électeurs du GOP (il avait semble-t-il manifesté de telles intentions suite aux attaques du Washington Post à son égard, les estimant injustes et téléguidées de l’intérieur même du parti).

 

Portrait officiel de Rand Paul en tant que sénateur (2011)Paul a été à nouveau bien en vue de par ses positions iconoclastes en matière de politique étrangère, et il contribua à animer le débat, à le faire vivre, notamment via ses positions contre Rubio (vis-à-vis duquel il se montra assez condescendant) en matière d’immigration (sur laquelle il semble partisan d’une ligne dure) et de sécurité nationale. Il rappela lors de la tirade finale que son inquiétude la plus importante pour l’avenir du pays était la dette, ajoutant qu’il était le seul conservateur fiscal sur scène.

 

Jeb Bush en 2015Bush : il s’est démené pour forcer sa nature et (tenter de) déstabiliser Trump, mais son problème reste d’être insipide et incolore le reste du temps. Ses propos sont aussi sensés et responsables que peuvent l’être ceux d’un républicain de l’establishment, mais ils sont sans relief ni saveur comparés aux tonitruantes sorties de Trump ou Cruz. Et comme il ne brille pas par son charisme sur scène …

 

Donald Trump en août 2015Trump : a priori une bonne soirée pour lui. Il a pu répéter ses propositions populistes en matière d’immigration sans être mis en difficulté, et a contenu (et contré) les assauts de Bush avec sa morgue habituelle. Comme Carson, il a confirmé qu’il s’engageait à concourir à la présidentielle en tant que républicain et qu’il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour battre Hillary Clinton.

 

Photo officiel de Marco Rubio en tant que sénateur (2011)Rubio : son principal défi ce soir était de marquer des points face à Cruz, et le bilan apparaît mitigé. Le sénateur du Texas est meilleur au corps-à-corps que celui de Floride, lequel a en plus eu Paul sur le dos. Son discours un peu creux, ses faux airs juvéniles semblent atteindre leurs limites et il commence à donner l’impression de manquer d’expérience et de substance.

 

Portrait officiel de Ted Cruz en tant que sénateur (2013)Cruz : le contexte lui est favorable et il en profite à plein. Son discours martial (qui rappelle parfois Poutine parlant de traquer les terroristes tchétchènes jusque « dans les chiottes »), musclé et populiste est porteur, d’autant plus qu’il semble totalement naturel. Ses propositions pour passer des intentions aux actes semblent en revanche parfois confuses. En attendant, il surfe sur la vague des événements et donne l’impression de bien gérer son rival actuel le plus important, Marco Rubio.

 

 

Le résumé du débat en vidéo

 

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