Introduction (20 janvier 2012)
Vainqueur d’une primaire socialiste bouleversée par la mise hors-jeu de Dominique Strauss-Kahn, François Hollande part avec les faveur du pronostic et une nette avance dans les sondages. Cette position, il la doit cependant davantage à la répulsion des électeurs pour le président sortant qu’à un engouement véritable autour de sa personne. Hollande manque de charisme, son projet ne transporte pas les foules, et ses adversaires (y compris Aubry lors des primaires) le présentent comme incarnant « la gauche molle », lui-même se définissant comme un candidat « normal », par opposition au président actuel. Autre défaut à lui être reproché : n’avoir occupé aucun poste de ministre ou à responsabilités majeures, celui de premier secrétaire du PS excepté, mandat entaché par des déconvenues tels l’échec de Jospin en 2002 ou le psychodrame du « Non » au référendum sur la constitution européenne en 2005.
Malgré cela, il est le favori. Peut-il perdre ? Oui. D’abord parce que sa campagne a commencé tôt du fait des primaires et l’expose naturellement à l’usure, à la lassitude. Ensuite, parce que la lutte sera dure et cruelle, et que l’UMP et Sarkozy sont des machines redoutables qui ne s’avoueront pas facilement vaincues. Enfin, parce que le manque d’enthousiasme et de vague porteuse pourrait provoquer le déplacement des électeurs les plus en colère vers Mélenchon ou Le Pen, et celui des électeurs les plus centristes vers Bayrou. Au risque de faire rater à Hollande le second tour ? Peu probable, les socialistes agitant à tour de bras le « vote utile » pour se prémunir d’un tel cataclysme. Hollande va pourtant devoir donner des gages à gauche et au centre et jouer un exercice de funambule pour se maintenir en tête et remporter une élection pour laquelle il a désormais toutes les cartes en main.
La présentation de tous les candidats
Intentions de vote à la mi-janvier 2012
Le sondage réalisé par les 13 et 14 janvier par l’institut Ipsos montre une érosion chez Hollande, mais également chez Sarkozy. Tout profit pour Bayrou qui se relance et ouvre la possibilité d’un match à quatre. Mélenchon continue de ne pas décoller, Le Pen reste stable, Joly chute.
Par rapport aux votes de 2007, le rassemblement réussi par Sarkozy s’effondrerait au profit du FN qui retrouverait son niveau de 2002, mais pas des Divers droites qui ne récolteraient qu’un maigre 4% (elles avaient atteint 13,4% en 2002). Les réserves de Sarkozy pour le second tour seraient donc faibles et il devrait espérer un report très favorable du FN et du Modem pour l’emporter. En hausse, le PS attirerait une partie des voix du centre et parviendrait à faire jouer le vote utile, avec, comme victime collatérale, l’extrême-gauche (PCF, LCR/NPA et LO), dont le score agrégé demeurerait loin de celui obtenu en 2002. Reste le Modem, en baisse par rapport à 2007, mais nettement supérieur au niveau 2002, pour autant que Bayrou maintienne la tendance, voire l’accélère.
En ce qui concerne le second tour, l’avance de Hollande s’éroderait mais resterait large. Niveau report des votes, Hollande ferait le plein sur l’extrême-gauche et les Verts, et capterait la majorité des électeurs de Bayrou, ceux de Le Pen se répartissant de manière égale entre les deux candidats testés et les « Ne se prononcent pas ».
Semaine du 22 au 28 janvier
La semaine a été fructueuse pour François Hollande, principalement grâce à son meeting dimanche 22 au Bourget, lequel lançait sa campagne et a déclenché d’avantage d’enthousiasme que prévu, dévoilant (ou confirmant pour certains) la dynamique enclenchée autour de sa personne. A noter une petite phrase qui n’est pas passée inaperçue : « Il [Mon véritable adversaire] n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti. Il ne présentera jamais sa candidature. Il ne sera pas élu. Et pourtant il gouverne. Mon adversaire, c’est le monde de la finance ».
Dans les jours qui suivent, le socialiste continue sa montée en puissance en annonçant ses soixante engagements pour la France, puis en livrant jeudi sur France 2 un face-à-face à Alain Juppé dont les observateurs jugent qu’il est globalement sorti vainqueur.
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Semaine du 29 janvier au 5 février
François Hollande est enfariné par une démente lors d’un événement d’Emmaüs. Pas de conséquence, si ce n’est un renforcement draconien du nombre de ses gardes du corps. Cette semaine voit également le lancement de son site internet de campagne.
De passage au 20h de TF1 le dimanche 29, Nicolas Sarkozy continue de ne pas se déclarer et annonce toute une série de mesures présentées comme urgentes mais qui n’entreront en vigueur … qu’après la présidentielle (pour autant que le vainqueur ne décide pas de les supprimer).
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Semaine du 6 au 12 février
Continuant de ne pas se déclarer, Nicolas Sarkozy dévoile dans une interview au Figaro Magazine ses « valeurs », qui, pour beaucoup d’observateurs, portent la patte du conseiller ultradroitier Patrick Buisson (qui a entre autres été journaliste à Minute). Selon le spécialiste d’histoire politique Christian Delporte dans Libé, « c’est la troisième stratégie de Sarkozy. Il y a eu le président protecteur, puis le président courage, et maintenant, c’est le président à droite toute. Cela montre qu’il cherche d’abord à bétonner son score au premier tour ».
Semaine calme du côté de François Hollande, celui-ci ayant souhaité éviter une sur-réaction aux propos de son adversaire principal. Pour le reste, il est moins visible dans les médias, à l’exception d’un serrage de mains avec Sarkozy lors d’un dîner organisé par le CRIF.
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Semaine du 13 au 19 février
Mercredi 15 février, au 20h de TF1, Nicolas Sarkozy annonce officiellement sa candidature à la présidentielle 2012. Contraint par l’impérieuse nécessité de combler son retard sur Hollande, le président sortant entre dans la bataille plus tôt qu’il ne l’avait escompté.
Au lendemain de la déclaration de Sarkozy, François Hollande dénonce « le fiasco de la présidence » ainsi que « les attaques, la falsification, la caricature de Sarkozy ». « Sarkozy est l’homme de la crise, je suis l’homme de la sortie de crise » ajoute-t-il, avant de s’en prendre à « l’État-UMP », ce qui lui vaut en retour une sortie de la porte-parole de Nicolas Sarkozy, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui l’accuse de préparer une chasse aux sorcières chez les hauts fonctionnaires.
De son côté, Jean-Luc Mélenchon s’énerve contre François Hollande qui a déclaré dans une interview au journal anglais The Guardian qu’il n’y a plus de communistes en France. Mélenchon évoque « les génuflexions devant la City » et dénonce une « attitude hautaine insupportable ».
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Semaine du 20 au 26 février
Un sondage Ipsos-Le Monde réalisé après l’annonce de candidature de Sarkozy et ses premiers meetings montre un écart Hollande-Sarkozy inchangé par rapport au sondage réalisé avant l’entrée en lice officielle du candidat UMP. A contrario, la perspective d’un match à quatre s’éloigne, Le Pen se tassant et Bayrou tombant au point d’être talonné par Mélenchon.
Les autres instituts de sondage annoncent cependant un resserrement entre Hollande et Sarkozy au premier tour, CSA annonçant même un écart réduit à un point. Ces divergences relancent le débat sur la valeur des sondages, leurs méthodologies, leurs marges d’erreur, leur influence, leur omniprésence.
Leur vision pour le second tour reste cependant similaire, chacun continuant de pronostiquer une nette victoire de Hollande (59% dans le meilleur cas, 56% dans le moins bon) (ici, les données Ipsos).
Le reste de la semaine
François Hollande expose sa vision sur l’agriculture et, comme Sarkozy, investit le terrain de l’industrie (visite de l’usine Arcelor-Mittal de Florange). Sortie de son livre Changer de destin.
Dans un autre registre, l’UMP profite de la garde-à-vue de DSK (affaire Carlton) pour intensifier les attaques contre le PS. Celui-ci contre-attaque grâce à la polémique sur le parachutage envisagé de Borloo à Veolia.
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Semaine du 27 février au 4 mars
Gros coup de François Hollande lundi soir sur TF1. Avec l’annonce de son intention d’imposer à 75% la tranche des revenus supérieurs à un million d’euros, le socialiste marque les esprits et éclipse les diverses sorties de Nicolas Sarkozy (refus d’un référendum sur le traité européen ; attaques sur Valérie Trierweiler – la compagne journaliste de Hollande – et sur les amitiés du candidat socialiste avec les actionnaires du Monde ; propositions pour l’éducation ; promesses d’investissements pour Arcelor-Mittal à Florange …) qui entendait pourtant être celui qui dicterait le rythme de la campagne.
C’est en fait toute la semaine de Nicolas Sarkozy qui se révèle difficile : son espoir de rapidement rejoindre et dépasser Hollande dans les intentions de vote du premier tour ne se concrétise pas (l’écart, après un resserrement, semble même se recreuser), certaines sorties approximatives l’exposent à un retour de bâton (cafouillages sur le chiffrage de la question enseignante ; scepticisme général quant au sort de Florange ; manque d’élégance pour s’en être pris à la compagne de Hollande) et son entourage commet quelques bévues que les médias ne manquent pas de monter en épingle (Guaino qui perd ses nerfs dans un débat télévisé ; Nathalie Kosciusko-Morizet qui ne connait pas le prix d’un ticket de métro ; Guéant qui associe droit de vote des étrangers et viande halal obligatoire).
Le sommet est atteint jeudi à Bayonne, où le président sortant est accueilli par des indépendantistes basques (auxquels se sont sans doute mêlés une poignée de militants socialistes) qui le huent et tentent de l’atteindre avec des œufs. Contraint de se réfugier dans un bar, il n’en sortira qu’après l’arrivée des CRS. Il accusera ensuite Hollande d’être responsable de ces débordements par sa volonté « d’épuration » de l’État. Les socialistes s’offusquent.
Parmi les autres activités de François Hollande : douze heures au Salon de l’Agriculture et un déplacement dans la City (rencontre des dirigeants travaillistes et plaidoyer pour la régulation de la finance). En fin de semaine, un article du Spiegel annonce que les dirigeants allemand (Merkel), italien (Monti) et espagnol (Rajoy) se sont mis d’accord pour boycotter le socialiste, ceci en réaction à sa volonté de renégocier le pacte fiscal instauré pour sauver la zone euro. Berlin dément.
Le reste de la semaine
Outre l’annonce de sa taxe à 75%, la semaine de François Hollande est marquée par douze heures au Salon de l’Agriculture et un déplacement dans la City de Londres, où il rencontre des dirigeants travaillistes et effectue un plaidoyer pour la régulation de la finance.
En fin de semaine, un article du Spiegel annonce que les dirigeants allemand (Angela Merkel), italien (Mario Monti) et espagnol (Mariano Rajoy) se sont mis d’accord pour boycotter le socialiste, ceci en réaction à sa volonté de renégocier le pacte fiscal instauré pour sauver la zone euro. Berlin dément.
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Semaine du 5 au 10 mars
La semaine est marquée par la polémique sur la nourriture halal, avec Le Pen, Fillon et Sarkozy en première ligne.
François Hollande capitalise son coup d’éclat de la semaine précédente (les 75%) et se fait discret. Une sortie à noter (lors de la journée de la femme) : que tout hôpital dispose d’une section IVG.
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Semaine du 11 au 18 mars
Nicolas Sarkozy sursature l’espace médiatique et les sondages ont le tournis. Lundi, Ifop annonce Sarkozy devant Hollande au premier tour. Mardi, Sofres donne une tendance inverse. Mercredi, CSA place les deux candidats à égalité. Samedi, LH2 montre Sarkozy en hausse mais toujours distancé par Hollande. Dimanche enfin, Ifop à nouveau annonce Sarkozy en pole-position mais pour seulement un demi-point. Bref, une cacophonie sans nom, qui fait toutefois le jeu de Sarkozy, le sentiment dominant étant que le président sortant a réussi à reprendre la main et à inverser (ou atténuer) la dynamique qui le donnait perdant sans rémission (et ce, même si tous les instituts s’accordent toujours pour donner Hollande nettement vainqueur au deuxième tour).
L’autre gagnant de la semaine est Jean-Luc Mélenchon, que des sondages annoncent pour la première fois à plus de 10%, et dont les thèmes exercent une influence grandissante sur la campagne, jusqu’à être en partie repris par ses adversaires (taxer fortement les riches pour Hollande, taxer les exilés fiscaux pour Sarkozy). Point d’orgue de la semaine du candidat du Front de Gauche : le rassemblement du 18 mars à la Bastille, au cours duquel environ 100 000 personnes se massent pour l’entendre appeler à l’insurrection citoyenne et réclamer l’instauration de la Sixième République.
Face à la double menace que constitue la montée dans les sondages de Sarkozy et Mélenchon, François Hollande durcit son discours vis-à-vis du président sortant et lance un nouvel appel au vote utile. Un parfum de flottement n’en est pas moins perceptible dans le camp socialiste, d’autant que la performance du candidat à Des Paroles et des Actes sur France 2 jeudi n’est pas extraordinairement convaincante (voir infra).
A noter que Hollande reçoit officiellement cette semaine le soutien de Jean-Pierre Chevènement, dont le parti (le MRC) a conclu la semaine dernière un accord avec le PS en vue des législatives.
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15 mars 2012 – François Hollande à « Des Paroles et des Actes »
Contexte
- Deuxième passage de François Hollande dans l’émission Des Paroles et des Actes, après une première prestation convaincante fin janvier, notamment lors du débat qui l’opposa à Alain Juppé.
- Le socialiste traverse une période délicate, avec des sondages qui indiquent une remontée de Nicolas Sarkozy et une percée de Jean-Luc Mélenchon.
Style
- Nouvelle confirmation du bénéfice de son régime : Hollande est beaucoup plus télégénique qu’auparavant.
- A contrario, l’expression orale n’est pas toujours des plus convaincantes. Hollande parle fort, sur un ton où pointe une autorité forcée, sur-jouée, comme s’il tentait d’asseoir une posture de chef qu’il n’aurait pas en restant lui-même. La comparaison avec Bayrou, Sarkozy et Mélenchon est à cet égard en sa défaveur.
- Plus probant sont son humour et son style pince-sans-rire, notamment lorsqu’il s’en sert pour désarmer les attaques de Copé.
Contenu
- François Hollande est apparu sur la défensive, peu enclin à prendre des risques, restant vague et évasif lorsque les journalistes ont tenté de creuser certains sujets.
- Discussion intéressante avec le journaliste de BFM François Lenglet sur le financement des mesures prônées par Hollande et l’équilibre budgétaire qu’il prévoit pour 2017. Le journaliste indique que 90% du financement viendra de taxes supplémentaires et hausses d’impôts, pour seulement une petite partie de réduction de dépenses. Il montre aussi que Hollande table sur une croissance annuelle de 2,5% là où l’OCDE n’attend que 1,5%. Hollande se justifie et présente ses arguments, mais le qualificatif de Bayrou « Hollande = l’illusion » revient en mémoire (à sa décharge, Hollande est pour l’heure le seul à avoir détaillé intégralement son programme, et donc le seul avec lequel un tel débat est possible, ce dont le journaliste convint sans difficultés).
- Débat avec Copé qui la joue roquet et tente d’acculer Hollande sur des points précis (immigration, nucléaire, sécurité) pour démontrer le flou de ses propositions. Un Copé pugnace, plus mordant que Fabius et Valls les semaines précédentes face à Sarkozy et Bayrou. Pas de vainqueur véritable.
- Au final, prestation en demi-teinte d’un Hollande qui n’avait pas besoin d’un deuxième passage dans l’émission mais a dû s’y plier pour ne pas laisser l’espace médiatique vide de sa présence.
Semaine du 19 au 25 mars
L’horreur et la stupeur s’abattent sur la France lorsque quatre personnes (un adulte de trente ans, ses deux enfants et une petite fille) sont abattues froidement dans une école juive de Toulouse lundi à neuf heures du matin. Très vite les enquêteurs font le lien avec deux autres faits divers qui commençaient à soulever questions : l’exécution d’un militaire en civile une semaine plus tôt à Toulouse également, et celle trois jours auparavant de trois soldats en uniforme (dont un survivra) à Montauban. Pendant trois jours, la campagne va s’arrêter, ou du moins, se décliner en pointillés.
Nicolas Sarkozy ré-endosse les habits de président (le CSA annonce que ses interventions sur le sujet ne seront pas décomptées de son temps de parole), annule ses meetings et suspend sa campagne. Idem pour François Hollande (qui calque pendant trois jours ses déplacements sur ceux de Sarkozy) mais pas François Bayrou ni Jean-Luc Mélenchon, tandis que Marine Le Pen adopte un profil bas, la thèse d’un acte néo-nazi semblant plausible au vu de l’identité des victimes (juives dans le cas de l’école, d’origines nord-africaines et antillaises pour les militaires). La vérité s’avérera tout autre, le tueur étant un certain Mohamed Merah, un Français de 24 ans passé par des camps d’entraînement au Pakistan et en Afghanistan et se revendiquant d’un islam radical, quoique semblant avoir agi seul. Identifié dès mardi, il repousse une première tentative d’entrée dans son domicile par le RAID. Barricadé chez lui pendant trente heures, il sera finalement tué armes à la main lors d’un nouvel assaut donné jeudi en fin de matinée.
Si tous les candidats appellent d’emblée à la retenue et à éviter toute récupération, en pratique les attaques ne tardent guère. Ainsi François Bayrou, avant que ne soit connue l’identité du tueur, accuse la majorité d’être responsable des divisions qui minent la société française. Il tentera par la suite d’atténuer ces propos. Côté UMP, Copé sort l’artillerie lourde en stigmatisant les candidats qui ne respectent pas le temps de deuil et en accusant Hollande de double langage. Côté PS, les attaques se concentrent sur les manquements des services de renseignements, l’échec de la politique sécuritaire depuis dix ans et la mise en scène par le ministre de l’Intérieur Claude Guéant de la mise hors d’état de nuire de Mohamed Merah. Claude Guéant est également la cible d’Eva Joly, qui lui reproche d’avoir outrepassé ses fonctions au détriment du juge d’instruction, tandis que Nathalie Arthaud dénonce « la comédie d’une union nationale ».
Quelles seront les conséquences des tueries sur la campagne ? Un retour à l’avant-plan de l’insécurité, de l’immigration et de l’intégration est inévitable, favorisant a priori Nicolas Sarkozy plus à l’aise que ses adversaires sur ce terrain, et qui annonce sitôt l’affaire dénouée les mesures policières qu’il entend prendre pour prévenir de tels drames. Mais c’est surtout Marine Le Pen qui entend en profiter pour donner une nouvelle dynamique à sa campagne que les sondages montrent s’essoufflant. Elle le démontre dès dimanche lors d’un meeting près de Nantes où elle déclare « ce n’est pas l’affaire de la folie d’un homme mais le début de l’avancée du fascisme vert dans notre pays », et clame sa volonté de « mettre l’islam radical à genoux », marquant ainsi le retour aux fondamentaux du FN qu’elle avait tendance à délaisser au profit de thèmes plus socio-économiques.
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Semaine du 26 mars au 1er avril
La semaine apparaît moins intense que les précédentes, d’abord du fait de la retombée de l’émotion suscitée par les événements de Toulouse, et ensuite de par l’absence de grands débats télévisés (règle du temps de parole oblige + campagne télé officielle ne démarrant que deux semaines avant le premier tour). Bref, l’impression ressentie est celle d’une petite accalmie médiatique. La campagne s’intensifie en revanche sur le terrain avec les meetings et des opérations de porte-à-porte menées par l’UMP et le PS.
Face à la montée de Sarkozy (la perspective d’un Nicolas Sarkozy en tête au premier tour est confirmée cette semaine par plusieurs sondages) et la percée de Mélenchon, François Hollande veut ne pas sur-réagir et garde la même ligne depuis le début de la campagne : insister sur le bilan du président sortant et ne pas se lancer dans une surenchère d’annonces spectaculaires. En déplacement à La Réunion, il déclare toutefois que le ton va changer et que les socialistes vont davantage « taper sur Sarkozy », désormais qualifié de « grand prometteur mais petit donneur. » Mais plus que ses adversaires, Hollande semble surtout craindre l’abstention, susceptible selon lui de rebattre les cartes.
A noter que Dominique Strauss-Kahn est mis en examen pour complicité de proxénétisme (affaire Carlton). L’UMP en profite pour attaquer François Hollande et les leaders socialistes sur leurs relations avec l’intéressé.
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3 avril : intentions de vote à trois semaines du 1er tour
Le croisement des courbes se confirme, Nicolas Sarkozy est en train de réussir son premier pari, réaliser l’unité de la droite au premier tour (bien aidé par le retrait de toute candidature dissidente dans sa famille politique proche) et ramener à lui une partie des électeurs tentés par Marine Le Pen (la symétrie entre les courbes des deux candidats est à cet égard particulièrement frappante).
La donne pour le deuxième tour n’en reste pas moins inchangée, François Hollande conservant une large avance grâce à l’excellent report des votants d’un Mélenchon en pleine ascension, et celui, substantiel, d’une partie des électeurs de Bayrou. De tout cela, Nicolas Sarkozy dit n’avoir cure, estimant que son passage en tête au premier tour (s’il se réalise) créera une dynamique qui lui permettra de renverser la situation. Il compte également énormément sur le débat télévisé de l’entre-deux tours où il entend « exploser » Hollande (dixit Le Point).
Semaine du 2 au 8 avril
Nicolas Sarkozy présente jeudi son programme et le détaille dans une « Lettre aux Français ». Y figurent trente-deux propositions, quasi toutes annoncées les semaines précédentes. Françoise Fressoz (éditorialiste au Monde) parle de « l’audace perdue » de Nicolas Sarkozy. « Il y a cinq ans, le candidat UMP avait gagné l’élection présidentielle en remportant la batailles des idées. Il avait asséché tous ses concurrents en préemptant les valeurs, le projet et les propositions. (…) Cette fois-ci, il sèche, sa besace est vide. (…) Pas de surprise, nul élan. (…) Nicolas Sarkozy est coincé par la conjoncture. Il n’a pas plus de marge de manœuvre que son principal adversaire Hollande. »
Sur le terrain, le président sortant continue de s’en prendre férocement à Hollande (« Il est l’otage de Mélenchon après avoir été celui de Joly et des factions du PS ») et prophétise que l’élection du socialiste conduirait le pays dans la même situation que la Grèce et l’Espagne. En meeting dans le Var, il lance un appel au vote utile dès le premier tour de la part des électeurs FN. Enfin, pour contrer le meeting en plein air de Hollande le 15 avril à Vincennes, il annonce la tenue le même jour d’un grand rassemblement place de la Concorde.
De son côté, François Hollande anticipe mercredi l’annonce du programme de son rival UMP en rendant public le calendrier des réformes qu’il mettra en œuvre en cas de victoire. Quasi pas de nouveautés par rapport à ses déclarations de février, juste la confirmation de ce qui avait été annoncé, Hollande entendant bien garder la ligne qu’il s’est fixée depuis le début de la campagne pour se différencier de son rival dont il entend souligner l’inconstance et les gesticulations.
Le calendrier des mesures annoncé par Hollande :
- dès le premier conseil des ministres : prise de mesures symboliques (réduction de 30% de la rémunération du chef de l’État et des membres du gouvernement) et décrets pour l’augmentation du pouvoir d’achat (blocage des prix des carburants pour trois mois, augmentation de l’allocation de rentrée scolaire) et la réduction des injustices sociales et économiques (retraite à 60 ans, …).
- lors de la session extraordinaire du Parlement (du 3 juillet au 2 août) : réforme fiscale, suppression des niches, taxation à 75% des hauts revenus, suppression de la TVA Sarkozy, assainissement du secteur bancaire …
- de septembre 2012 à juin 2013 : nouvel acte de décentralisation, lancement d’une Banque publique d’investissement, création des deux tiers des 150 000 emplois d’avenir du quinquennat, réformes sociétales (droit au mariage et à l’adoption pour tous les couples, droit de mourir dans la dignité).
Sur le terrain, Hollande va dans les banlieues, Vaulx-en-Velin, Trappes, Aubervilliers, …. Niveau meeting, le principal se tient mercredi à Rennes et est marqué par, outre le détail du calendrier en cas de victoire, la présence sur scène de son ex-compagne Ségolène Royal.
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Semaine du 9 au 15 avril
Pas de débat entre candidats au premier tour mais un passage à tour de rôle mercredi et jeudi sur le plateau de Des Paroles et des Actes (France 2) pour un entretien avec David Pujadas et ses journalistes.
Lorsque vient son tour, François Hollande commence par réfuter l’idée que son programme ne contient pas de grandes réformes structurelles, citant la réforme fiscale, la réforme bancaire et celle des collectivités locales. A la question de savoir si un retour de la crise de la dette pourrait modifier son programme, il répond que son projet économique restera inchangé et que les seules mesures nouvelles viseront à contrôler la spéculation. Sur l’accord PS-EELV : il sera respecté en ce qui concerne les circonscriptions, mais le programme qui sera appliqué sera le sien et pas un autre. Sur Mélenchon : il refuse de répondre quant à l’hypothèse d’un meeting commun lors de l’entre-deux tours.
Le reste de la semaine
- Quatre sondages (Opinionway, LH2, BVA, CSA) indiquent une hausse de François Hollande tant au premier qu’au second tour. C’est un coup dur pour Nicolas Sarkozy qui ne parvient pas à créer une dynamique durable en sa faveur et qui, en plus, connait une semaine délicate, marquée par une visite-éclair et quasi-secrète (les journalistes ne sont prévenus qu’au dernier moment) en banlieue (Drancy), mais aussi par un cafouillage sur Fukushima, le président sortant laissant entendre qu’il s’y était rendu alors qu’il n’a été qu’à Tokyo. Le candidat UMP n’en perd pas pour autant sa combativité et propose que deux débats (au lieu d’un seul) soient organisés durant l’entre-deux tours, de façon à « aller au fond des sujets. » Le candidat PS refuse, comme il refuse une interview au Figaro, à qui il reproche de l’avoir ignoré depuis des mois et d’être décidément trop partisan.
- Bourde de l’équipe Hollande, ou tempête dans un verre d’eau ? Le socialiste Michel Vauzelle, en voyage au Mexique, est accusé d’instrumentaliser l’affaire Cassez. Démenti du PS.
- Dimanche chargé en meetings. L’attention se focalise sur le duel Concorde-Vincennes, lequel semble se terminer par un match nul au niveau de l’assistance, UMP et PS revendiquant chacun la présence de 100 000 personnes (chiffres invérifiables).
Semaine du 16 au 21 avril
Le sondage Ipsos-Le Monde (vague 18) réalisé les mardi 17 et mercredi 18 avril confirme le décroisement des courbes Hollande et Sarkozy, le candidat PS reprenant même une nette avance (3,5 points). Derrière, Le Pen et Mélenchon restent dans un mouchoir de poche, même si la candidate FN est donnée comme repartant légèrement à la hausse. Quant à Bayrou, son électroencéphalogramme reste plat à 10%.
Les autres instituts de sondage abondant dans le même sens (à part IFOP qui place les deux candidats à égalité parfaite), Sarkozy virant en tête dimanche soir serait une sensation. Parmi les éléments qui pourraient la rendre possible, deux reviennent en particulier : une forte abstention et un important transfert dès le premier tour de Bayrou vers Sarkozy, l’électorat du candidat Modem étant celui se déclarant le moins sûr de son choix (le vote Le Pen étant quant à lui annoncé comme certain par 80% des sondés).
La perspective d’un deuxième tour sans Sarkozy ou Hollande est écartée par tous les instituts, chacun plaçant Le Pen à au moins neuf points de Sarkozy. Et si des rumeurs d’une forte sous-estimation de la candidate FN et d’un recul conséquent du président sortant ne s’en mettent pas moins à circuler, un échec aussi cinglant de Sarkozy semble improbable.
Pour ce qui est du deuxième tour, pas de changement, la victoire nette de François Hollande est toujours attendue. Seul un basculement très fort des « Ne se prononcent pas » de Le Pen et Bayrou pourrait redonner une chance à Sarkozy.
Le reste de la semaine
Les soutiens de dernière heure venus de personnalité de droite se multiplient pour François Hollande, à commencer par ceux de Martin Hirsch et Fadela Amara (anciens « ministres d’ouverture » de Sarkozy), à la grande indignation de l’UMP qui parle de « trahisons ».
Autres ralliements : Corinne Lepage (déjà déclarée proche du candidat PS il y a plusieurs semaines), Azouz Begag et Brigitte Girardin (anciens ministres de Chirac et proches de Villepin). Quant à l’ex-ministre des Sports Chantal Jouanno, si elle soutient Sarkozy, on ne peut pas dire que ce soit avec enthousiasme, elle qui déclare avoir « des raisons personnelles » d’être contre lui. Enfin, la présidente du Medef Laurence Parisot se montre désormais plus mesurée vis-à-à-vis du socialiste. Sur le terrain, Hollande est en meetings à Lille mardi et en Gironde jeudi. Il déclare lors de ce dernier événement : « Sarkozy va la prendre de face, la vague », en référence à son adversaire qui dit sentir une vague de ferveur monter en sa faveur.
L’actualité complète de la semaine
22 avril : Résultats du 1er tour
Participation : élevée, 79,5% (83,8% en 2007, 71,6% en 2002 et 78,4% en 1995).
Sensation sur le coup de 20h lorsque les premiers résultats fournis par Ipsos sur France 2 donnent Hollande et Sarkozy en tête (comme attendu), mais aussi Marine Le Pen à 20%, à cinq points seulement du candidat UMP. Cette nouvelle fait l’effet d’une déflagration, que n’atténuent que peu les résultats définitifs qui donnent pourtant un écart plus net (Le Pen 17,9%, Sarkozy 27,2%). Le FN réalise son meilleur score historique (un point de plus qu’en 2002), qui plus est dans un contexte de forte participation qui aurait censément dû le desservir.
Cette percée est un échec pour Nicolas Sarkozy qui malgré ses tentatives n’a pas réussi à rassembler au-delà de son noyau dur et est le premier président sortant à ne pas virer en tête au premier tour. Contrairement à ses attentes, la « majorité silencieuse » n’a pas démenti le rejet que les médias anticipaient, il a perdu la majeure partie du vote frontiste qui l’avait rallié en 2007 et sa réélection est plus que jamais compromise (un sondage effectué dans la soirée donne Hollande vainqueur par 54-46). Seules raisons pour lui de garder la foi : le fait que Hollande n’a pas créé un écart significatif, le score plus faible qu’annoncé de Mélenchon (la poussée de la gauche est réelle mais pas aussi forte que prévue) et l’espoir fou qu’il est possible de convaincre la très grande majorité de l’électorat FN de le rejoindre. Sa tactique : durcir davantage encore sa campagne à droite toute et écraser le candidat socialiste lors du débat télévisé (il réclame d’ailleurs dès dimanche qu’en soient organisés trois).
Le résumé complet du premier tour
Semaine du 23 au 27 avril
Marine Le Pen pavoise. Si elle n’a pas réussi à se qualifier pour le second tour, elle n’en a pas moins rassemblé 6,4 millions d’électeurs autour de sa personne. Pour l’heure, elle renvoie dos-à-dos les finalistes, mais espère sans doute une défaite de Sarkozy qui ferait imploser la droite et poserait le FN en principal parti de l’opposition. Il faudra pour cela que la dynamique qui l’a portée si haut se poursuive lors des législatives (où de nombreuses triangulaires sont attendues) et permette à son parti d’obtenir une quinzaine de députés pour former un groupe à l’Assemblée.
Pour l’heure, ses électeurs sont l’objet d’une cour assidue de Nicolas Sarkozy (cf. le résumé complet de la semaine). Le candidat UMP se lance également dans une offensive contre les médias et les sondages qu’il accuse de jouer contre lui. A l’opposé, François Hollande la joue charmeur en déclarant avoir « grand respect pour l’institution que vous [les journalistes] représentez, indispensable pour la démocratie », et promet, s’il est élu, de tenir une conférence de presse tous les six mois.
Hollande et Sarkozy s’affrontent aussi sur la question du nombre de débats. Sarkozy en réclame trois, puis s’empresse d’accepter l’offre de quatre radios pour un débat sur leurs ondes, mais Hollande décline les deux propositions. L’UMP l’accuse d’avoir peur, le PS répond en ironisant sur « un oral de rattrapage ». Le président sortant se lance également dans une surenchère pour le premier mai, répondant aux traditionnels défilés syndicaux et à la célébration de Jeanne d’Arc par le FN par un contre-événement qu’il annonce comme étant « la fête du vrai travail ». Rétropédalage deux jours plus tard : il dément avoir utilisé cette expression et son conseiller Guaino souhaite qu’on « laisse tomber » cette formule.
François Bayrou dénonce quant à lui la « course ventre à terre de Sarkozy derrière les thèses du FN » et lui reproche d’amalgamer l’électorat centriste à celui de Le Pen en déclarant que « les préoccupations des électeurs de Bayrou et ceux du FN sont les mêmes ». En parallèle, pendant que nombre de ses soutiens se positionnent rapidement en faveur de l’un ou l’autre finaliste, le candidat du Modem, comme il l’avait annoncé dimanche, envoie une lettre à Hollande et Sarkozy pour leur demander de préciser leur position sur plusieurs sujets avant qu’il ne se prononce pour le second tour.
Semaine du 28 avril au 5 mai
Première partie – Du 28 avril au premier mai : avant-débat, affaires et défilés
L’avant-débat est marqué par une résurgence des affaires dans les deux camps. A gauche, c’est le cas DSK qui revient sur la table, d’abord via une vraie-fausse interview dans The Guardian (à qui il affirme que la droite ne lui a certes pas tendu un piège, mais qu’elle a profité des événements pour l’enfoncer et l’éliminer), ensuite par la présence de l’intéressé à l’anniversaire de Julien Dray, ce qui déclenche une mini-panique chez Valls et Royal qui s’empressent de déguerpir pour ne pas être vus en sa compagnie.
A droite, c’est la question du financement de la campagne 2007 qui effectue un retour en force. En cause : la publication par Mediapart d’un document qui prouverait l’accord de principe du colonel Kadhafi pour fournir de l’argent à Nicolas Sarkozy. L’UMP dément avec vigueur et le président sortant accuse Mediapart d’être « une officine au service de la gauche ».
A Toulouse dimanche et à Avignon lundi, Nicolas Sarkozy affiche sa confiance et voit « monter une mobilisation qu’il n’a jamais sentie dans toute sa vie politique ». S’adressant aux électeurs FN, il déclare : « si vous vous abstenez, votre abstention servira le candidat socialiste ». Il prophétise aussi le retour du laxisme et de l’assistanat, ainsi que la régularisation de tous les étrangers en situation illégale, avant de se lancer dans une apologie de la nation et des frontières, s’en prenant vertement à l’Europe « passoire » qui a trop laissé « s’affaiblir la Nation ».
Au Trocadéro le premier mai, il s’en prend aux syndicats qui font de la politique au détriment de la défense des salariés (« Le drapeau rouge, c’est le drapeau d’un parti. Notre drapeau, c’est celui de la France ») et déclare vouloir « un nouveau modèle français où la réussite ne sera plus regardée avec suspicion » (« Ce qu’elle possède, la France du travail, elle l’a gagné. Son patrimoine, c’est le sien (…) On n’a pas le droit de culpabiliser la France du travail »).
Du côté de François Hollande, le principal meeting se tient à Bercy le dimanche 29. Comme précédemment, il présente Nicolas Sarkozy comme le champion de la division. Visant les électeurs FN, il déclare comprendre la souffrance de beaucoup et dit vouloir reconquérir les hommes et les femmes en colère, mais sans promettre ni se compromettre. Petite sensation en fin de meeting : au lieu de descendre de scène pour un bain de foule après qu’a retenti la Marseillaise, le candidat revient à son pupitre pour cinq minutes improvisées au cours desquels il demande aux Français de se mobiliser.
Sans surprise, Marine Le Pen annonce qu’elle votera blanc et ne donne pas de consigne à ses électeurs. « Je n’accorderai ni confiance ni mandat à ces deux candidats qui (…) s’ingénient depuis trente ans à faire perdre la France ».
Deuxième partie – 2 mai : le débat
Le débat a été agressif mais globalement équilibré, aucun adversaire ne perdant pied ni ne prenant nettement le dessus sur son adversaire. Tout bénéfice pour Hollande, qui, au vu de son avance dans les sondages, avait le plus à perdre, et donc, de facto, échec pour Nicolas Sarkozy, pour qui le débat représentait la dernière bouée à laquelle se raccrocher. Contrairement à ses attentes, il n’est pas parvenu à « exploser » Hollande, trouvant face à lui un candidat pugnace qui a su le contrer et neutraliser ses attaques sans commettre d’erreur majeure. L’ultime chance de succès pour Nicolas Sarkozy s’est sans doute envolée.
Les échanges sont ouverts par François Hollande qui déclare d’emblée qu’il sera le président de la justice et que les privilégiés ont été trop protégés lors du dernier quinquennat. Il affirme également qu’il sera le président du redressement au niveau de l’emploi, de la production et de la croissance. Nicolas Sarkozy lui répond que son entrée a été très classique, mais que ce que lui veut du débat de ce soir, c’est un moment de vérité, au cours duquel aucun des candidats ne cherchera à esquiver aucun sujet, comme il reproche à Hollande de le faire. S’ensuit une tirade des deux jouteurs pour savoir qui sera le meilleur rassembleur.
Les sujets-clefs de la campagne sont ensuite tour à tour évoqués : l’économie évidemment, qui monopolise une grande partie des échanges, mais aussi l’éducation, l’immigration, le nucléaire, etc. Les questions de politiques internationales sont par contre réduites à la portion congrue (une dizaine de minutes, essentiellement sur l’Afghanistan et le terrorisme en Afrique du Nord). Les débats sont assez techniques, avec une multitude de chiffres assénés par l’un et aussitôt contestés par l’autre. Hollande réalise une tirade convaincante sur l’éducation, mais est mis en (relative) difficulté sur l’immigration et les centres de rétention. Il a par contre beau jeu de systématiquement renvoyer Sarkozy à son bilan (« Ce n’est jamais de votre faute », « Ce n’est jamais vous »), lequel a du mal en s’en dépêtrer et continue de jouer davantage sur sa stature de chef d’État que sur son programme.
Niveau style, Hollande est le premier à interrompre son adversaire et apparaît le plus tendu en début de débat. Mais Nicolas Sarkozy ne tarde guère à le prendre également à partie, et s’en suivront quelques échanges vifs (Sarkozy traitant Hollande de « petit calomniateur ») mais sans dérapages véritables (excepté peut-être quand le candidat UMP croit bon de mettre le cas DSK sur la table). A noter que lorsqu’il prend la parole, Nicolas Sarkozy s’adresse le plus souvent aux journalistes Laurence Ferrari et David Pujadas, non par choix, mais parce que, sera-t-il plus tard révélé, Hollande ne le regarde pas mais plonge le nez dans ses notes. Hollande renvoie également Sarkozy dans les cordes en ne le laissant pas se poser en maître face à un étudiant (« Ce n’est pas vous qui posez les questions, ce n’est pas vous qui donnez les notes ! »).
L’instant mémorable du débat est la tirade de François Hollande (qu’il dira avoir improvisée) « Moi président de la République, … ». Plutôt efficace et bien sentie au début, elle s’éternise toutefois rapidement, le candidat PS la répétant une quinzaine de fois. Elle semble néanmoins avoir eu son petit effet. La plupart des observateurs s’étonneront cependant de l’absence de réaction de Nicolas Sarkozy, lequel ne chercha pas à l’interrompre ni à souligner une forme d’arrogance chez son adversaire.
Troisième partie – du 3 au 5 mai : derniers jours de campagne
- Jeudi, François Bayrou déclare qu’il votera à titre personnel pour François Hollande. C’est une surprise, l’attente était davantage portée vers un vote blanc. Grosse amertume du côté de l’UMP, qui parle « d’incohérence » dans le choix du candidat Modem, surtout en regard de l’économie.
- Climat malsain autour des journalistes couvrant les meetings UMP : mardi au Trocadéro, c’est une journaliste de Mediapart qui est vivement prise à partie par des militants, et jeudi c’est Ruth Elkrief de BFM qui subit des désagréments. Beaucoup y voient les conséquences du discours agressif de Nicolas Sarkozy vis-à-vis des médias qu’il accuse de tous les maux.
- Affaire Kadhafi suite et pas fin : valse de démentis et contre-démentis (de l’UMP, de la Libye, …)
- Sondages : la victoire de Hollande est toujours annoncée, malgré un tassement. Nicolas Sarkozy n’en continue pas moins d’annoncer une élection qui n’aura jamais été aussi indécise.
- Ultimes meetings de campagne : à Toulouse (où il annonce sentir venir la victoire) et Périgueux (appel à rester mobilisés) pour Hollande, à Toulon (où il brandit la menace des « expériences folles » de la gauche) et aux Sables-d’Olonne pour Sarkozy.
6 mai : Résultats du second tour
Participation : élevée, 80,4% (84% en 2007, 79,7% en 2002 et 79,7% en 1995). François Hollande recueille 18 millions de voix, Nicolas Sarkozy 16,9 millions.
Le miracle n’a pas eu lieu pour Nicolas Sarkozy qui rejoint Valéry Giscard d’Estaing au rang des présidents non-reconduits après un premier mandat. La victoire de François Hollande est toutefois moins nette qu’annoncée tout au long de la campagne, et c’est une petite déception pour les socialistes qui espéraient marquer les esprits avec un gros écart. La France semble donc fortement divisée, et la gauche devra rester mobilisée pour les législatives afin de s’éviter toute mauvaise surprise (même si la perspective de nombreuses triangulaires avec le FN devrait lui faciliter la tâche). Pour l’anecdote : le score de François Hollande est quasiment identique à celui de François Mitterrand en 1981.
La déclaration de Nicolas Sarkozy après l’annonce des résultats est sobre et – un peu à l’étonnement général, vu de la dureté de la campagne – digne, en tout cas emplie d’une dignité qu’il aura rarement montré pendant son mandat. Il déclare porter toute la responsabilité de la défaite et souhaite bonne chance au vainqueur. Un reste de mauvaise foi reparaît parfois, notamment lorsqu’il déplore que l’institution qu’il représentait n’ait pas été respectée (sous-entendu, par ces adversaires), alors que ce fut justement un des principaux reproches qui lui a été fait durant le quinquennat. Sur son avenir, il se montre moins clair que les premières dépêches d’agence ne l’avaient laissé entendre : il n’annonce pas officiellement se retirer de la politique, mais déclare que son engagement pour son pays sera différent. Le Canard enchaîné dévoilera plus tard que c’est à l’initiative de son conseiller principal Patrick Buisson que la déclaration finale ne contint pas de paroles irrévocables, dans l’intention peut-être de se représenter en 2017.
François Hollande a attendu le verdict dans son fief de Tulle et y prononce sa première déclaration. Se gardant de tout triomphalisme (« les défis sont nombreux et ils sont lourds »), il se place d’emblée en mode rassembleur en exprimant son respect pour Nicolas Sarkozy et annonce aux électeurs qui ne lui ont pas accordé leurs suffrages (« et ils sont nombreux ») qu’il respecte leurs convictions et qu’il sera le président de tous. Ses priorités seront l’école, l’environnement, et la réorientation de l’Europe pour la croissance et l’emploi. Il répète aussi son souci de la justice et de la jeunesse.
Le nouveau président prend ensuite un jet privé pour se rendre à Paris et à la Bastille où est organisé un concert pour célébrer la victoire. Deux polémiques surgissent aussitôt, la première (vite étouffée) concernant le coût du jet privé que certains tentent de rapprocher avec le Fouquet’s de Sarkozy, la seconde liée à la présence à la Bastille de nombreux drapeaux étrangers (surtout nord-africains) comparé au petit nombre de drapeaux tricolores, preuve (à nouveau, selon certains) que Hollande est le président « des minorités ethniques ».
8 mai : Synthèse de campagne
Crédité dès le départ d’une nette avance dans les sondages, François Hollande a bien géré la situation idéale qui s’offrait à lui, face à un rival repoussoir qu’une majorité de Français désirait éjecter. Plus qu’un vote d’adhésion, le vote Hollande aura été pour beaucoup un vote contre Nicolas Sarkozy, les handicaps accumulés par celui-ci du fait de son bilan, de son comportement et de la fracture profonde avec l’électorat ayant été trop nombreux pour qu’il puisse à redresser la barre.
La victoire de François Hollande ne fut toutefois pas une partie de plaisir, et n’importe qui, contrairement à ce que certains se plaisent à affirmer, n’aurait pas battu Nicolas Sarkozy. Son plus grand mérite fut sans doute de ne pas commettre d’erreur, d’avoir parfaitement défini sa ligne de conduite et de s’y être tenu, malgré les péripéties d’une campagne piégeuse, agressive et délétère. Hollande s’est donc surtout évertué à préserver son avance, à ne pas la dilapider, ce qui se traduisit par une prise de risques souvent minimale dans ses propositions et la volonté de ne pas se lancer dans une surenchère de promesses irréalistes. Si la campagne du socialiste manqua de panache, de rêves, d’espérances, elle ne fut néanmoins pas exempte de bons coups, tels : la mise en avant de sa « normalité » ; le meeting du Bourget qui le mit en selle ; celui de Vincennes qui obligea Sarkozy à réagir en hâte et improvisation (contre-meeting organisé en catastrophe à la Concorde) ; le dévoilement de son programme dès le début de la campagne, quand son adversaire, lui, s’illustrait par l’absence de projet clair et abouti.
Son coup le plus marquant fut toutefois une proposition qui n’était pas dans le projet initial mais fut annoncée un mois plus tard : taxer les hauts revenus à 75%. Plus symbolique qu’indispensable (son application sera difficile, son impact incertain), cette mesure marqua les esprits et s’inscrivit durablement dans les têtes, contrairement aux dizaines de propositions à peine annoncées et sitôt oubliées qu’asséna dans un roulement permanent Nicolas Sarkozy. Bref, Hollande frappa peu mais juste, là où Sarkozy multiplia les moulinets stériles.
Sur le plan des idées, la campagne fut marquée par la forte droitisation du candidat UMP, lequel s’en prit vertement à l’Europe et martela le concept de « frontières », renforçant ainsi un sentiment de crispation et de division accentué par la stigmatisation latente ou directe des immigrants (conditionnement du regroupement familial et des aides sociales), des musulmans (polémique sur la nourriture halal, Guéant et les civilisations inférieures, …) et des corps intermédiaires (syndicats, Chambres, recours intensif au référendum).
Côté socialiste, l’accent fut principalement mis sur l’équité des efforts à consentir pour sortir de la crise (plus grande justice fiscale, faire contribuer chacun suivant ses capacités, « mon adversaire, c’est la finance »), tendance accentuée par la poussée du Front de Gauche. Au rang des thèmes principaux, citons aussi la rupture avec le style Sarkozy (« le changement, c’est maintenant ») et le rassemblement de tous les Français, par opposition aux clivages entretenus par le président sortant. Hollande insista également sur sa volonté de renégocier les traités européens et d’y inclure un passage sur la croissance.
La synthèse complète de la campagne
20 juin : Bonus législatives
La gauche remporte les législatives. Sur les 577 sièges du Parlement, les socialistes en obtiennent 280, auxquels s’ajoutent les 17 de leurs alliés écologistes et les 34 des radicaux de gauche et autres divers gauches, soit un total de 331 sièges. La droite parlementaire doit se contenter de 229 sièges, dont 194 pour l’UMP, 12 pour le Nouveau Centre et 23 pour les divers droites, radicaux, etc.
La victoire socialiste est nette, François Hollande pourra se reposer sur une majorité confortable pour appliquer son programme. Tous les ministres se présentant ayant été élus (le Premier ministre Jean-Marc Ayrault lui-même, Laurent Fabius, Pierre Moscovici, Manuel Valls, Michel Sapin, Aurélie Filippetti, Stéphane Le Foll, l’écologiste Cécile Duflot …), le succès aurait été total si ne s’était joué à La Rochelle un psychodrame qui risque de laisser des traces.
A l’origine de l’affaire : la dissidence du députe sortant Olivier Falorni, lequel refuse de céder sa circonscription à Ségolène Royal, l’ex-épouse de François Hollande. A la base simple péripétie locale, ce conflit anodin va se transformer en événement politique national majeur suite à un tweet de soutien en faveur d’Olivier Falorni envoyé par … la compagne de François Hollande, Valérie Trierweiler. Aussitôt le microcosme politico-médiatique s’emballe et ne parle plus que de cette « guerre des dames », une « guerre » qui tourne à l’humiliation pour Ségolène Royal, largement défaite par Falorni (63% à 37%). Si l’ex-candidate à la présidentielle 2007 n’en finit plus de subir des déconfitures et voit s’envoler le perchoir de l’Assemblée où elle espérait se recaser, c’est peu dire que l’image de Valérie Trierweiler en a pris un coup, elle qui est désormais perçue comme une harpie jalouse et outrancière, qui affaiblit la position de François Hollande et brouille son message de « normalité ».
Le résumé complet des législatives
12 octobre 2012 – Addendum : « Rien ne se passe comme prévu », de Laurent Binet
Comme Yasmina Reza avec Sarkozy en 2007, l’écrivain Laurent Binet a suivi François Hollande tout au long de la campagne et en a tiré un livre. L’ouvrage n’est pas littéraire mais un compte-rendu quotidien (quasi journalistique) des activités du candidat, accompagné de commentaires de l’auteur (qui fait parfois groupie) sur ses propres impressions et sur le microcosme socialiste.
Plus que de l’importance des meetings, Binet revient sur l’importance d’un meeting, celui de Sarkozy le 14 janvier 2007, considéré comme le tournant de la campagne de l’époque et pris en exemple par les socialistes de ce que doit être celui de Hollande au Bourget le 22 janvier 2012. Olivier Faure, chargé de mission de Hollande et secrétaire général du groupe PS à l’Assemblée explique ainsi : « Le 14 janvier 2007, la presse n’a retenu que quelques mots mais c’était un discours très structurant qui a ensuite été décliné tout au long de la campagne, et c’était surtout une démonstration de force Porte de Versailles avec mise en image par Le Van Kim, le réal’ de Canal, un exemple de professionnalisme. Cela a surtout créé un décalage avec la campagne de Ségolène Royal qui, ce jour-là, était prise un agneau dans les bras en Poitou-Charentes. Sarko a imposé ses thèmes au moment où Ségolène Royal était enfermée dans ses rendez-vous participatifs. Lui savait où il allait quand elle demandait aux Français ce qu’ils voulaient. Donc rien à voir avec de la production littéraire mais tout avec une prise de contrôle de la campagne ».
Autres observations
- Le titre de l’ouvrage ne vient pas d’une phrase prononcée par Hollande au cours de la campagne elle-même, mais de sa réponse à un journaliste de Canal qui lui demandait dans un documentaire en octobre 2011 ce qu’il avait pensé en apprenant la nouvelle de l’affaire DSK.
- Un moment décrit comme émotionnellement intense : la visite d’Arcelor-Mittal à Gandrange, avec la foule, la tension, les rencontre avec les leaders syndicaux et les ouvriers …. L’auteur regretta par avance que ne subsiste de cette journée qu’une poignée de secondes dans les médias (ce qui fut effectivement le cas), le rendant quasi insignifiant dans le déroulé de la présidentielle.
- Benoît Hamon, p 80 : « Marine Le Pen, je suis sûr qu’elle sera à plus de 20%. Les mecs qui vont voter pour elle ne croient plus à la politique, leur seule motivation, c’est de dégager tous ces connards, droite et gauche, qui les laissent dans la merde et qui n’ont rien fait pour eux – et je m’inclus dans les connards. On dirait que le seul choix que nous laisse la démocratie, aujourd’hui, c’est : « Dans quel ordre accepterez-vous de perdre vos droits ? D’abord, la retraite ? La sécu ? Les allocs ? ».
- Sur les qualités oratoires de Hollande, Laurent Binet, p 193 : « Lorsqu’il essaie de contrarier sa nature en surjouant la gravité par exemple comme je l’ai vu souvent faire au 20h, il n’a pas l’air crédible. » Cet avis d’un Hollande peu impressionnant à la télévision semble partagé par la plupart des interlocuteurs de l’auteur, qui le jugent a contrario beaucoup plus convaincant en meeting, à l’aise avec les foules, capable de les transcender.
- Prévisible mais toujours amusant : les vacheries entre caciques socialistes. Aubry en prend plein la figure, Fabius n’est pas épargné, et chacun a droit à au moins une rosserie (gentille ou pas) de la part de l’un ou l’autre de ses compagnons de parti.
- Sur la préparation du débat d’entre-deux-tours : découverte de Guillaume Bachelay, plume de Fabius pendant quinze ans et chef de la cellule « Riposte » de la campagne de Hollande. L’homme joue le rôle de Sarkozy lors de la répétition et sort quelques saillies très drôles.
- Sur Hollande lui-même : le livre renforce l’image d’un homme qui garde ses distances, se confie peu et se protège par une ironie déroutante à force d’être permanente. Un intervenant parle d’un Hollande qui s’est déjà « désincarné » pour endosser le rôle de président, pour être la République, une République immatérielle et anonyme, comme un fonctionnaire de guichet.
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