Le troisième et dernier débat entre Hillary Clinton et Donald Trump a lieu à Las Vegas (Nevada). Il est modéré par le journaliste Chris Wallace de Fox News.

Sauf bouleversement extraordinaire, la victoire ne peut plus échapper à la démocrate. Pour le milliardaire, cet ultime débat est l’occasion de sauver les meubles et de restaurer un peu de ce qu’il lui reste comme crédibilité auprès des indécis. L’appréhendera-t-il de la sorte, ou continuera-t-il au contraire ses sorties outrancières ? La question est ouverte.

 

 

Résumé

 

En comparaison avec les débats précédents (surtout le deuxième, particulièrement dur et malsain), la première moitié de celui de Las Vegas a été quasiment « normale ». Certes n’a-t-elle pas été dénuée de moments chauds, certes toute tension ne s’était-elle pas envolée, mais les échanges ont été respirables, avec un Trump enfin en mode « débat présidentiel », c.-à-d. respectant le plan de bataille concocté avec son équipe, et s’affichant relativement calme et posé, voire structuré, ou, pour faire court : préparé, Donald Trump est apparu préparé.

Cette attitude, le milliardaire l’a conservée à peu près pendant 45 minutes, jusqu’à ce que survienne la question de son aptitude à présider. Et là, l’armure s’est fendue. D’abord mis en difficulté sur ses rapports avec les femmes, Trump s’est infligé tout seul une autre polémique (qu’il lui aurait été facile d’éviter avec un peu d’humour) en refusant de déclarer qu’il reconnaîtra la victoire de Clinton s’il venait à perdre l’élection (cf. infra, dans la section sur l’aptitude à présider). Cette prise de position fera jaser nombre commentateurs politiques, lesquels ne manqueront de stigmatiser ce qu’ils considèrent comme un affront au système démocratique américain.

Autre maladresse de Trump : son exclamation « What a nasty woman ! », en réaction à une pique que Clinton venait de glisser sur ses impôts dans une tirade sur le problème de la dette. Incorrigible, le magnat de l’immobilier s’est donc une fois encore laissé piéger par une provocation de son adversaire. Il s’était pourtant longtemps contenu pour ne pas répliquer aux nombreux pièges qu’elle lui tendait, mais, à mesure que le temps passait, sa nature a repris le dessus, et les signes d’agacements de se manifester de plus en plus régulièrement, d’abord par des « Wrong » assénés quand la démocrate parla de ses positions sur le nucléaire ou sur la guerre en Irak, puis par des interruptions de plus en plus fréquentes, jusqu’à culminer enfin avec ce « What a nasty woman ».

En résumé, Trump a livré un débat meilleur que les précédents (mais il partait d’assez bas) et, pendant une heure, est apparu crédible, sur la forme en tout cas. La dernière partie de la soirée l’a toutefois vu à nouveau être en mis en difficulté et retomber dans ses travers. De manière étonnante, jamais au cours des trois débats il ne l’a jamais attaquée Clinton sur la condescendance qu’elle a régulièrement affichée à son égard, ni ne l’a interpellée sur les nombreux grands sourires qu’elle arborait quand il parlait.

De son côté, Clinton n’a pas fondamentalement modifié son approche et a surtout été en mode « gestionnaire », évacuant sans ciller les questions qui la mettaient en danger (cf. infra les emails révélés par WikiLeaks et la Fondation Clinton), vantant sa foi en l’avenir et continuant son travail de sape à l’encontre de Trump via une série des petites piques dont la répétition finit par payer.

A noter également : la très bonne prestation du modérateur Chris Wallace, qui a bien tenu les candidats et leur a posé plusieurs questions incisives.

 

Donald Trump et Hillary Clinton pendant le 3e débat présidentiel, à Las Vegas

Donald Trump et Hillary Clinton pendant le 3e débat présidentiel, à Las Vegas – Auteur : Getty Images

 

 

Le compte-rendu détaillé

 

Le débat a été organisé en six sections : la Cour suprême, l’immigration, l’économie, l’aptitude à présider, la politique étrangère et la dette.

 

I. La Cour suprême

 

La première partie porte sur la Cour suprême et la manière dont les candidats pensent que la Constitution doit être interprétée. Le début de la réponse de Trump semble indiquer qu’il n’a pas tiré les leçons des débats précédents, puisqu’il se met à maugréer contre la juge Ruth Bader Ginsburg avec laquelle il a eu une algarade en juillet, une histoire dont il est peu probable qu’elle intéresse grand monde, ni même que beaucoup en soient au courant. Cette digression passée, il entre pour de bon dans le débat, affiche un style plus structuré et répond enfin sur ses intentions en matière de Cour suprême, c.-à-d. nommer des juges à la fois pro-life et qui défendront le Deuxième Amendement. Avant lui, Clinton a réitéré de manière claire et nette son intention de nommer des juges qui défendront les droits des femmes (en particulier celui à l’avortement) ainsi que ceux des gays, et qui auront également à coeur de renverser l’arrêt Citizens United.

 

II. Immigration

 

Trump accuse Clinton de vouloir mettre un place un système d’amnistie pour les illégaux, ce qui sera un « désastre ». Pour renforcer son argumentaire, il prend à témoin quatre mères dont les enfants ont été victimes de crimes commis par des clandestins et qu’il a invité à assister au débat. Il parle ensuite des ravages de l’héroïne qui inonde le pays depuis le Mexique et proclame son intention de s’en prendre aux seigneurs de la drogue.

De son côté, Clinton contre-attaque avec le cas d’une jeune fille née aux États-Unis mais qui craint que ses parents ne soient déportés si Trump gagne. Clinton déclare ne pas vouloir séparer des enfants de leur famille, ni ne veut de brigades de déportation qui iraient à la chasse aux illégaux dans les écoles, les maisons ou sur les lieux de travail. « Je ne pense pas que cela corresponde à qui nous sommes en tant que nation ». Elle insiste qu’elle est en faveur d’un contrôle des frontières, mais aussi que, pour ce qui est des expulsions, il convient de cibler les criminels les plus violents. Elle confirme ensuite que, dans les 100 cents jours qui suivront sa victoire, elle introduira une réforme globale du système migratoire, laquelle comprendra un chemin vers la citoyenneté, et termine en accusant Trump d’avoir exploité des travailleurs illégaux pour bâtir sa Trump Tower.

Le journaliste Chris Wallace intervient alors pour évoquer le sujet des fuites de WikiLeaks, notamment l’extrait d’un de ses discours où elle parlait de open borders (frontières ouvertes). Intervention de Donald Trump qui dit : « Thank you », visiblement pour remercier le modérateur d’aborder ce sujet. Comme à son habitude, Clinton évacue dare-dare la polémique (« je parlais du marché de l’énergie ») et contre-attaque sur un autre sujet, dans ce cas-ci l’ingérence présumée de la Russie dans la campagne et les liens entre Trump et Poutine, déclarant que « la question la plus importante ce soir est de savoir si Donald Trump admettra et condamnera enfin ce que les Russes font ».

Trump commence par bien réagir en dénonçant la diversion lancée par Clinton pour ne pas répondre à la question de départ, mais, au lieu de relancer une offensive là-dessus, il revient de lui-même sur la question russe et se remet lui-même en difficulté en déclarant que Poutine n’a aucun respect pour Clinton, ce qui permet à cette dernière de rétorquer que le président russe préférerait assurément avoir une marionnette comme président des États-Unis. Réponse de Trump : « C’est vous la marionnette ». Pour la répartie, on repassera. En attendant, Trump commence à s’irriter et, pour la première fois ce soir-là, après une demi-heure de débat, la contenance qu’il a réussi à préserver jusque-là se fissure lorsqu’il interrompt Clinton d’un « Wrong » quand celle-ci l’attaque sur ses propos concernant la capacité nucléaire des pays alliés.

 

III. Économie

 

Sur le programme économique, Clinton réitère sa volonté de soutenir les classes moyennes et affirme que le plan de Trump tuera l’emploi, augmentera massivement la dette et offrira les plus grosses baisses d’impôts jamais vues pour les riches et les entreprises. De son côté, Trump répond que les emplois fuient déjà le pays, que le pays est dans un état désastreux après les années Obama, et répète sa détermination à renégocier le NAFTA, voire à le dénoncer complètement s’il n’y a pas moyen d’obtenir un meilleur accord. Clinton arbore alors un grand sourire et déclare : « Laissez-moi traduire tout ça » et répète ce qu’elle a dit sur la plus grande baisse d’impôts jamais vues pour les riches.

Le journaliste Chris Wallace interroge alors plus en détails l’ex-Secrétaire d’État sur ses plans, les comparant au stimulus économique lancé par Barack Obama à son arrivée à la Maison Blanche et qui a débouché (dixit Wallace) sur la croissance du PIB la plus lente depuis 1949. Clinton défend l’œuvre d’Obama (« it was a terrible recession [he inherited] ») et parle de la détresse qui a frappé les membres de l’administration Bush quand ils ont vu ce qui arrivait à l’économie.

Chris Wallace passe alors à Trump et souligne que même les économistes conservateurs ne croient pas à ses prédictions de croissance (+4% de PIB et 25 millions d’emplois créés sur dix ans). Trump répète que le NAFTA est horrible, qu’il est le pire accord qui ait jamais été conclu et que Clinton soutient le TPP. Celle-ci rétorque qu’elle est en désaccord avec la version finale du TPP et qu’il y a sur scène ce soir une personne qui a délocalisé des emplois au Mexique et utilisé de l’acier chinois pour construire ses hôtels. Trump relance alors son attaque classique sur Hillary Clinton qui n’a rien réalisé de bon pendant trente ans. Réponse de l’intéressée : comparons mon bilan à celui de Trump, et elle commence une énumération peu flatteuse pour son adversaire : « Dans les années 1970, j’ai travaillé pour le fond de défense des enfants, il a été poursuivi par la justice pour discrimination raciale dans ses immeubles ; dans les années 1980, j’ai oeuvré à réformer les écoles en Arkansas, il a emprunté 14 millions de dollars à son père pour démarrer ses affaires ; dans les années 1990, j’ai été à Pékin dire que les droits des femmes étaient des droits de l’homme, il a insulté une ex-Miss Univers et l’a appelé machine-à-bouffer ; et quand je supervisais le commando en charge de s’occuper de Ben Laden, il s’occupait du jeu The Celebrity Apprentice ».

Réaction de Trump : « Give me a break » (« Lâche-moi avec ça ») quand Clinton évoque l’ex-Miss Univers. Puis, quand elle a fini sa tirade, il l’attaque sur la situation en Irak et Daech, dont il accuse Clinton d’être responsable.

 

IV. Aptitude à être président

 

Ce thème s’annonçait le plus dangereux pour Trump, et le milliardaire n’y a pas résisté. Après cinquante minutes de débat, le milliardaire va perdre la contenance qu’il était parvenu à conserver jusque-là et se retrouver en position délicate.

Cette partie débute par une question de Wallace à Trump sur les accusations de harcèlement sexuel qui s’abattent sur lui depuis une semaine, ce à quoi le candidat républicain que ces histoires ont été prouvées fausses, accusant ensuite sa rivale d’en être à l’origine, tout comme, ajoute-t-il, elle est responsable de violences qui ont éclaté en marge de ses meetings. Mais Clinton ne lâche pas l’affaire : « Il a dit qu’il n’a pas pu les agresser parce qu’elles ne sont pas attirantes, puis il a parlé d’une femme en déclarant qu’elle ne serait pas son premier choix ». Trump est irrité, veut interrompre Clinton et répète trois fois qu’il n’a pas dit ça. Il déclenche ensuite involontairement des rires dans la salle en affirmant : « Personne n’a plus de respect pour les femmes que moi ». Clinton en remet alors une couche en déclarant que son adversaire n’admet jamais sa responsabilité dans rien et qu’il ne s’excuse jamais envers personne, puis cite toute une série de gens qu’il a attaqué au cours de la campagne (un journaliste handicapé, les Khan et John McCain, le juge Curiel …), avant de conclure sa tirade par « there is a pattern of divisiveness » qu’elle avait déjà sorti au cours du deuxième débat.

S’est ensuite au tour de Clinton d’être mise sur la sellette par Wallace qui l’interroge sur la polémique concernant sa Fondation. Comme à l’ordinaire dans pareille situation, Clinton noie le poisson et parle des bienfaits apportés par ladite fondation. Wallace tente de lui faire répondre à la question, mais Trump lui-même intervient pour parler, Clinton le laissant faire, sans doute ravie de cette diversion. Et lorsque le milliardaire a fini sa tirade, elle contre-attaque avec la controverse sur la Trump Fondation.

Après une pique de Clinton sur les impôts fédéraux que le magnat de l’immobilier n’a pas payé pendant des années (alors que « les immigrants clandestins en payent, eux »), Chris Wallace fait basculer la conversation sur l’attitude de Trump en cas de défaite : reconnaîtra-t-il la victoire de son adversaire ? Alors que, avant le débat, son colistier Mike Pence et sa fille Ivanka ont répondu par l’affirmative, l’intéressé refuse quant à lui de se prononcer et déclare : « Je verrai en temps voulu ». Il parle ensuite des médias corrompus et évoquent des millions de votants qui ne devraient pas être inscrits sur les listes électorales, avant de conclure en affirmant que Clinton ne devrait pas être autorisée à concourir …

Cette situation où un candidat investi par un des deux grands partis laisse ouvertement entendre qu’il considère que le verdict des urnes peut être volé est probablement sans précédent. S’il y a effectivement eu des cas où la légitimité de certaines élections a prêté à discussions (cf. par exemple 2000 et 1960, quoique, dans ce dernier cas, les doutes sont apparus bien après le scrutin), la différence avec la situation présente est que Trump entretient depuis des mois le sentiment que tout le système électoral est truqué et que sa défaite (éventuelle) ne sera rien d’autre que le fruit d’une machination sans jamais remettre en question la manière dont il a, lui, mené campagne. Bref, Trump hurle au complot pour justifier son prochain fiasco. Prétendre que le système démocratique américain est parfait et qu’aucune manipulation n’est possible serait évidemment naïf (cf. par exemple le rôle du DNC au cours de la dernière primaire démocrate), mais exciter sa base sur ce qui, jusqu’à présent, ne repose sur rien d’autre que du vent, renforce l’image de candidat irresponsable et pyromane qu’il a déjà bien alimentée.

De son côté, l’ex-First Lady se déclare horrifiée par Trump qui dénigre la démocratie des États-Unis, puis critique sa propension à accuser tout système d’être truqué à chaque fois qu’il perd (la primaire en Iowa, celle au Wisconsin, la Trump University, et même le concours des Emmy Awards). Trump réagit en déclarant que l’attitude du FBI et du ministère de la Justice dans l’affaire des emails a été scandaleuse.

 

V. International

 

Trump déclare que l’offensive actuellement en cours contre la capitale de Daech en Irak (la ville de Mossoul) n’a lieu que pour aider Clinton à gagner l’élection. Il réitère ensuite ses accusations sur la responsabilité de Clinton dans la situation en Irak, ajoutant cette fois que l’Iran va être le grand vainqueur de tout ce qui est en train de se passer là-bas. Clinton contre-attaque en réaffirmant que Trump était favorable à la guerre en Irak, une assertion qui agace Trump, lequel interrompt trois fois son adversaire en criant « Wrong ».

La conversation porte ensuite sur Alep et la Syrie. Trump se montre à nouveau véhément, déclarant que Assad est beaucoup plus dur et intelligent qu’Obama et Clinton, que les États-Unis ont soutenu des rebelles dont personne ne sait rien et que les agissements de Clinton sont responsables de « la Grande Migration » en cours (la fuite des réfugiés).

 

VI. Dette

 

Interrogé sur l’accroissement massif de la dette nationale que son programme va provoquer, Trump répond que les experts qui affirment cela ont tort parce qu’il va créer une quantité phénoménale d’emplois. Soumis à la même question, Clinton déclare qu’elle n’ajoutera rien à la dette parce que les riches vont payer leur écot et que cela va permettre de reconstruire la classe moyenne. Wallace évoque alors les problèmes de financement qui s’annoncent pour Medicare et la Sécurité sociale, qu’aucun des deux candidats ne semble aborder dans son programme. Trump : « les baisses d’impôts vont relancer la croissance et il faut supprimer l’Obamacare ». Clinton (jubilatoire) : « Ma contribution à la sécurité sociale augmentera, tout comme celle de Donald Trump, du moins s’il ne trouve pas un moyen pour ne pas la payer ». Trump cède à la provocation : « What a nasty woman » (« Quelle mauvaise femme »).

Le résumé du débat en vidéo

 

Articles récents

Les dynamiques qui ont fait basculer l’élection

Les dynamiques qui ont fait basculer l’élection

12 novembre 2016 – Si la victoire de Donald Trump est nette en termes de grands électeurs, elle s’est pourtant jouée à quelques États-clefs qui ont basculé de justesse en sa faveur. Pour expliquer ce résultat, plusieurs dynamiques sont …

La « Trilogie de la Guerre » de Roberto Rossellini

La « Trilogie de la Guerre » de Roberto Rossellini

Italie, 1945. Dans un pays dévasté, une génération nouvelle de réalisateurs invente le néoréalisme. Parmi ses fers de lance : Roberto Rossellini, qui, en trois ans et trois films, accède au statut d’auteur majeur du 7ème Art.

Solaris (1972) – Andreï Tarkovski

Solaris (1972) – Andreï Tarkovski

En dépit d’années d’observations, la planète Solaris garde ses mystères, dont le principal n’est autre que sa surface, un océan gigantesque qui serait en fait … un cerveau.

Antelope Canyon – De lumière et de grès

Antelope Canyon – De lumière et de grès

Si certains patelins reculés n’ont rien pour eux, la petite ville de Page, elle, est doublement bénie des dieux, avec, en point d’orgue, un site parmi les plus photogéniques des Etats-Unis.

Lava Beds – L’ultime champ de guerre des Modocs

Lava Beds – L’ultime champ de guerre des Modocs

Isolé aux confins nord-est de la Californie, le parc de Lava Beds compte deux principaux centres d’intérêt : ses cavernes, et le souvenir de la résistance opiniâtre qu’y livra une poignée d’Indiens.

7 mai – Où Macron est élu président

7 mai – Où Macron est élu président

En dépit d’une abstention substantielle, Emmanuel Macron remporte le second tour avec une avance nette et devient le nouveau président de la République.