Nouvelle semaine éprouvante pour François Fillon, la plus folle depuis le déclenchement du Penelopegate. Son emballement commence mercredi matin, lorsque, à la surprise de tous, y compris de ses collaborateurs qui l’y attendent, le candidat LR annule à la dernière minute sa visite prévue au Salon de l’agriculture. L’explication tombe à midi au cours d’une déclaration à la presse effectuée par l’intéressé : les juges d’instruction en charge du Penelopegate viennent de le convoquer pour le 15 mars en vue d’une mise en examen !
Si les semaines précédentes avaient eu leur lot de coups de tonnerre, celui-ci est d’une ampleur inédite. Car si la mise en examen du candidat n’est pas certaine (l’entretien avec les juges peut déboucher sur un statut de témoin assisté), cette convocation n’en est pas moins un signe fort de la matérialité des soupçons portant sur Fillon.
En pratique, si les juges (à qui le PNF a transmis le dossier la semaine passée) ont été rapides à décider de cette convocation, c’est probablement en raison de l’approche du 17 mars, c.-à-d. la date-butoir de clôture des candidatures à la présidentielle. Convoquer Fillon après cette date aurait été possible mais délicat (encore plus que cela ne ne l’est maintenant) vu la proximité de l’échéance électorale. En agissant comme ils l’ont fait, les magistrats évitent le risque de ne pas pouvoir l’entendre avant plusieurs semaines (en particulier s’il est élu, puisqu’il serait alors protégé de toute poursuite pendant au moins cinq ans), pour autant évidemment que l’intéressé se rende à la convocation et ne fasse pas comme Marine Le Pen (cf. infra).
Voilà pour le volet juridique. Quid sur le plan politique ? S’il avait d’abord dit qu’il retirerait sa candidature en cas de mise en examen, le candidat LR a depuis changé d’avis : « Je ne céderai pas, ne me rendrai pas, je ne me retirerai pas, j’irai jusqu’au bout, parce que, au-delà de ma personne, c’est la démocratie qui est défiée », déclare-t-il, allant jusqu’à parler d’un « assassinat politique ». Il ajoute aussi : « Par ce déchaînement disproportionné, par ce choix de calendrier, ce n’est pas seulement moi qu’on assassine, c’est l’élection présidentielle ». Bref, il se pose en victime et s’en remet au suffrage universel comme seul juge de ses actes.
Sa famille politique toutefois ne l’entend pas de la même oreille. En quelques heures, c’est une véritable hémorragie de soutiens qui s’opère, avec, en première ligne, Bruno Le Maire qui démissionne du poste qu’il tenait dans son équipe, puis l’UDI qui, via son président Jean-Christophe Lagarde, annonce qu’elle suspend sa participation à la campagne. Et ce n’est qu’un début. Les défections sont si nombreuses que le compteur des lâcheurs de François Fillon mis en place par Libération dépasse les 200 élus au bout de deux jours. Parmi les plus notables : Yves Jégo, Christine Boutin, Pierre Lellouche, Georges Fenech, Benoist Apparu, Nadine Morano, Renaud Muselier, le propre parole de Fillon Thierry Solère, Dominique Bussereau, Virginie Calmels, Chantal Jouanno, etc., etc. Des sarkozystes, des juppéistes, des lemairistes, des UDistes, des membres l’équipe proche : la saignée est générale.
Malgré ces départs, Fillon demeure inébranlable et tente même un coup de force : rassembler un maximum de sympathisants dimanche au Trocadéro afin de montrer qu’il jouit toujours du soutien de la rue. Face à ce véritable quitte ou double que joue le candidat LR, les réactions de son camp sont d’autant plus partagées que l’hebdomadaire de droite dure Valeurs actuelles relaye l’événement comme étant une « marche contre le coup d’Etat des juges ». Comprenant le danger, l’entourage de Fillon (notamment le sénateur Bruno Retailleau) calme un peu le jeu (ou en tout cas essaye de le faire) en déclarant que le rassemblement vise avant tout à défendre les valeurs et le projet de redressement portés par le candidat.
Les jours précédant le meeting sont électriques. Jeudi, le domicile parisien des Fillon est perquisitionné. Vendredi, c’est au tour de leur château dans la Sarthe d’être le théâtre d’une descente de police, tandis que, dimanche matin, paraît dans le JDD une interview de Penelope Fillon qui affirme son soutien sans faille à son mari et défend la réalité de ses emplois d’assistante parlementaire et à la Revue des Deux mondes. La veille, samedi, Fillon a tenu un meeting à Aubervilliers dans une salle que Le Monde rapporte comme en grande partie restée vide. Pendant ce temps, les défections continuent, dont deux remarquées : celle du directeur de campagne Patrick Stefanini, qui remet sa démission vendredi soir avec prise d’effet après le Trocadéro ; puis, dimanche matin, celle du maire de Nice Christian Estrosi, qui évoque sa « gêne » devant le rôle majeur que joue dans l’organisation du Trocadéro les mouvements catholiques durs La Manif pour tous et Sens commun. De leur côté, en coulisses, les ténors LR discutent et tentent de trouver une « sortie respectueuse » à offrir au vainqueur de la primaire, lequel ne veut rien entendre, et surtout pas si c’est de Juppé dont il s’agit pour le remplacer.
Dimanche, à 15h, l’affluence au Trocadéro est notable. 200 000 personnes comme le clameront Fillon et ses soutiens ? Certainement pas. Informé par une source policière, BFM parle plutôt de 40 000. Quoi qu’il en soit, la foule présente est suffisante pour permettre à François Fillon d’y voir une mobilisation populaire en faveur de son maintien. Sur scène, plusieurs dizaines d’élus se sont groupés derrière celui qui est toujours candidat. Parmi eux : François Baroin, que Nicolas Sarkozy a dans les semaines passées positionné comme possible plan B. Comment interpréter cette présence ? Le signe d’une allégeance négociée du camp sarkozyste vis-à-vis d’un Fillon inflexible ? La préparation d’un désistement de ce dernier en faveur du maire de Troyes ? L’indécision règne et le discours tenus par Fillon n’aident pas forcément à y voir plus clair : aux proclamations répétées de son innocence et de sa détermination succèdent des propos de doutes et d’autres où il semble dresser la feuille de route programmatique que devra(it) suivre un éventuel successeur. Sa conclusion se veut toutefois ferme : il a fait son examen de conscience, aux femmes et aux hommes du parti de maintenant faire le leur et de se demander : « Laisserez-vous les passions du moment l’emporter ? »
Dans la soirée, Fillon est invité au JT de France 2. Le propos y est sans ambiguïtés : « Personne aujourd’hui ne peut m’empêcher d’être candidat ». La démonstration du Trocadéro, estime-t-il, le conforte dans sa position : le peuple de droite le veut et a réaffirmé son soutien à son programme. Il répète ensuite être innocent et n’avoir rien à se reprocher sur le plan légal, puis en remet une couche sur un « hold-up démocratique » et des « pratiques honteuses », parmi lesquelles celle des chaînes de télé qui ont annoncé mercredi le suicide de sa femme, une fausse info qui … n’a en réalité jamais été annoncée par aucun média. Dérapage incontrôlé de celui qui, jusqu’à nouvel ordre, demeure le candidat LR ? Au vu de ce qui était en jeu ce week-end, cette question est anecdotique. Fillon a tenté un coup de poker, il a fonctionné, pas forcément de manière éclatante, mais suffisamment que pour se sentir conforté et gagner au moins un sursis, voire plus.
Le reste de la semaine
La collecte des parrainages a officiellement démarré cette semaine. Les candidats ont jusqu’au vendredi 17 mars pour que les signatures en leur faveur parviennent au Conseil Constitutionnel. Au vendredi 3 mars, un candidat a déjà largement dépassé la barre des 500 parrainages requis : François Fillon, qui en a plus de 1100. Derrière, Macron et Hamon n’en sont plus très loin, ce qui n’est pas une surprise. Ce qui l’est plus, c’est le très large nombre de parrainages déjà récoltés par Nathalie Arthaud (plus de 300), loin devant un Mélenchon ou une Le Pen. La présence de la candidate LO au premier tour de la présidentielle semble donc bien engagée. Parmi les autres « petits », Nicolas Dupont-Aignan (DLF) et Jacques Cheminade (SP) sont également sur de bons rails. En revanche, Philippe Poutou (NPA) démarre très timidement.
Alors qu’elle se maintient en tête des sondages pour le premier tour (même si Macron est donné la rattrapant), Marine Le Pen continue elle aussi de voir sa campagne agitée par des affaires judiciaires. Ainsi a-t-elle vu cette semaine le Parlement européen lever son immunité de député suite à une demande du parquet de Nanterre. En cause : une information judiciaire ouverte pour diffusion d’images violentes en décembre 2015. Les faits reprochés concernent la publication sur le compte Twitter de l’intéressée de photos montrant les corps de victimes de l’Etat islamique. Marine Le Pen avait agi de la sorte pour protester contre des propos de l’animateur radio Jean-Jacques Bourdin qui avait comparé le FN et Daech.
Cette levée d’immunité ne concerne que cette affaire et ne vaut pas pour celle concernant ses assistants parlementaires, laquelle a connu cette semaine un développement marquant avec la convocation en vue d’une possible mise en examen envoyée par des juges d’instruction. En réaction, Marine Le Pen a fait savoir par courrier qu’elle ne se rendrait à aucune comparution avant la fin de la campagne, c.-à-d. une réponse identique à celle qu’elle avait déjà communiquée la semaine passée à l’Office anticorruption de la PJ (OCLCCIFF) qui voulait l’entendre dans le cadre d’une audition libre.
De manière plus anecdotique, Le Pen s’est également vue une nouvelle fois déboutée dans le procès qu’elle menait contre Jean-Luc Mélenchon qui l’avait qualifiée en 2011 de « fasciste ». La Cour de cassation a estimé que de tels propos exprimés dans le contexte d’un débat politique ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d’expression. Cette décision met un terme définitif à la procédure qui avait déjà vu Mélenchon obtenir gain de cause en première instance et en cour d’appel.
Enfin, dimanche 5 mars, au cours d’un passage sur BFM-TV, la candidate FN a accusé cette chaîne de télé et la radio RMC de soutenir Emmanuel Macron parce que, affirme-t-elle, celui-ci aurait aidé leur propriétaire Patrick Drahi à acquérir le société de télécom SFR en 2014. Une attaque qui (indépendamment de son fondement) prête à sourire quand on se souvient le nombre de fois où ces deux médias se sont vu reprocher de faire le jeu du Front national …
Au PS, la déchirure s’amplifie entre hamonistes et réformistes. En point de mire de ces derniers : l’accord conclu la semaine passée avec EELV, obtenu au prix de concessions qu’ils jugent exorbitantes en comparaison de l’apport électoral des écolos (les sondages créditaient Jadot de 1% à 2% au premier tour). Plus généralement, c’est la ligne globale de Benoît Hamon qui est encore visée. Ainsi, en début de semaine, le secrétaire d’Etat au développement Jean-Marie Le Guen a reproché au vainqueur de la primaire de tenir un « discours extrêmement radical » qui l’isole de sa famille politique, et qualifié sa position « d’impasse » ne pouvant mener à la victoire, ajoutant que, « dans l’état actuel des choses, moi et des dizaines d’autres parlementaires, nous ne pouvons pas [lui] donner notre parrainage ».
Plus tard, c’est Manuel Valls (lequel s’était tenu éloigné de la scène depuis sa défaite à la primaire) qui, lors d’une réunion avec des parlementaires, est sorti du bois en se déclarant inquiet suite à l’accord conclu avec EELV. Il a ensuite évoqué le spectre d’une « Marine Le Pen aux portes du pouvoir », ainsi que celui d’un second tour qui « désespéreraient » les électeurs de gauche s’il l’opposait à François Fillon, une remarque qui ne manqua pas d’être interprétée comme l’esquisse d’un appel au vote utile en faveur de … Macron.
Une troisième salve enfin a été tirée par le ministre de la ville Patrick Kanner : dans un entretien au JDD publié le 5 mars, celui-ci appelle Hamon à rassembler au plus vite les socialiste et n’exclut pas de voter pour le leader d’En Marche !
De son côté, Yannick Jadot intègre officiellement l’équipe de campagne du candidat socialiste en tant que « conseiller spécial ». Les écolos Michèle Rivasi (énergie), Eva Joly (évasion fiscale) et d’autres font de même.
Concernant Emmanuel Macron, sa semaine est marquée par l’officialisation de son programme. « Enfin ! » s’exclament ses contempteurs, qui avaient fait de son absence une critique reprise quasi en boucle.
En pratique, le document de 24 pages (complété de 36 sections sur le site Internet de En Marche) détaille des propositions que Macron avait dévoilées ces dernières semaines en guise de mise en bouche, et en ajoute d’autres qu’il n’avait pas encore évoquées. L’analyse du programme est disponible ici.
Dans un autre registre, Macron est victime d’une tentative d’intox sur Internet où est publié un faux article du journal Le Soir citant une (fausse) dépêche AFP dans laquelle le politicien belge Philippe Close déclare que la campagne du leader d’En Marche ! est financée à 30% par l’Arabie saoudite. Philippe Close dément avoir tenu de tels propos, l’AFP déclare n’avoir jamais publié de telle dépêche et Le Soir dénonce un plagiat de son site web. Fake news donc, comme on dit désormais depuis que Donald Trump a popularisé l’expression.
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