De début août à fin septembre (1er débat) : petits hauts et grands bas pour chaque candidat

 

Pour la synthèse des épisodes précédents côté républicain, voir : 1. Donald Trump ou la foire aux outsiders et 2. La résistible ascension de Mr. Trump.

Pour la synthèse des épisodes précédents côté démocrate, voir : 1. Un match « à une » devenu match « à deux » et 2. La laborieuse investiture d’Hillary Clinton.

Les semaines suivant les conventions de juillet à Cleveland (républicains) et Philadelphie (démocrates) sont difficiles pour Trump. En cause : une succession de scandales et polémiques qui le font plonger dans les sondages. Viennent notamment le toucher :

  • « l’affaire Khan », du nom d’un capitaine de l’armée américaine tué en Irak en 2004 et dont le père a, à la convention démocrate de Philadelphie, vivement critiqué le candidat républicain pour ses propos antimusulmans. L’histoire aurait pu en rester là, mais le milliardaire ne peut s’empêcher de réagir et s’en prend notamment à la mère du soldat mort, à qui il reproche d’être restée silencieuse sur scène pendant le discours de son mari, « probablement parce qu’elle n’était pas autorisée à parler ». Le retour de flammes est immédiat : Trump reçoit une réponse virulente et offensée de la part de l’intéressée, tandis que le monde politico-médiatique (y compris des républicains) et des associations de vétérans lui tombent dessus pour ses propos qu’ils jugent offensant envers un soldat ayant sacrifié sa vie pour son pays.
  • une déclaration ambiguë sur ce que les supporters du droit au port d’armes pourraient faire pour empêcher Clinton de limiter ce droit (« Si elle peut choisir ses juges [à la Cour suprême], il n’y a rien que vous puissiez faire les gars. Quoique … les défenseurs du Deuxième Amendement … peut-être y a-t-il quelque chose à faire, je ne sais pas »), nombre d’observateurs y voyant un appel pur et simple au meurtre, le milliardaire s’en défend en affirmant qu’il ne faisait qu’appeler les partisans du droit au port d’armes à se mobiliser pour voter contre la démocrate.
  • une période de flottement concernant l’immigration illégale, le magnat de l’immobilier semblant vouloir atténuer certaines de ses déclarations-chocs passées, notamment sa volonté d’expulser les onze millions de clandestin). Ce semblant de modération s’envole toutefois au soir du 30 août, lorsque, après un voyage médiatisé à Mexico pour rencontrer le président Nieto, le milliardaire prononce dans la soirée, à Phoenix (Arizona) un discours virulent dans lequel il réaffirme les fondamentaux de son programme, au grand dam de ses soutiens hispaniques désemparés (cf. le compte-rendu de cette journée).

  • des prises de positions favorables à Poutine, Trump appelant notamment les Russes à se livrer au piratage informatique contre des citoyens américains afin de retrouver les emails détruits par Hillary Clinton (cela alors que le Kremlin est déjà soupçonné d’ingérence dans la campagne présidentielle suite à l’affaire du DNCleaks), puis se déclarant favorable à la reconnaissance de l’annexion de la Crimée par la Russie.
  • l’entrée en campagne de Barack Obama, lequel, depuis l’officialisation de l’investiture d’Hillary Clinton, milite ouvertement pour son élection et la défaite du républicain, déclarant entre autres que « Trump n’est pas qualifié pour être président », qu’il est « terriblement mal préparé », puis se demandant pourquoi les républicains qui le critiquent le soutiennent encore.
  • la désunion du GOP, justement, accentuée début août par les refus de soutiens à Trump proclamés par de nombreuses personnalités républicaines (cf. entre autres une lettre ouverte signée par une cinquantaine de personnes ayant servi dans les administrations Nixon et/ou Bush père et fils, et qui déclarent que le milliardaire serait un président « dangereux », notamment en raison de son manque de caractère, de valeurs et d’expérience), ainsi que par une nouvelle bisbille entre le milliardaire et Paul Ryan et John McCain, le premier refusant dans un premier temps d’apporter aux seconds son adoubement lors des primaires républicaines pour les élections au Congrès, sans doute par rétorsion suite aux critiques qu’ils ont émises à son égard lors de l’affaire Khan (cf. supra).
  • enfin, un énième remaniement dans son équipe de campagne, le directeur Paul Manafort étant contraint de démissionner suite à la révélation de son implication dans une affaire de corruption liée à l’ancien président ukrainien Viktor Ianoukovitch, dont il a été un conseiller. Pour compenser ce départ, d’abord, une montée en grade : celle de la spécialiste des sondages Kellyanne Conway, désormais responsable des aspects les plus stratégiques de la campagne. Puis, une arrivée : celle de Stephen Bannon, un polémiste haut en couleurs et président exécutif du site polémique d’informations Breitbart News, lequel soutient Trump depuis le lancement de sa campagne. Conway et Bannon : deux personnes dont le rôle sera déterminant dans la fin de campagne de Trump.

 

Bilan de ce tumulte : des sondages qui prennent l’eau, avec une Clinton créditée de 8% à 10% d’avance au niveau national, avec en outre une large avance dans certains États-clefs tels la Floride, le Michigan et la Pennsylvanie. Bref, pour Clinton, la première moitié d’août est radieuse, les indicateurs sont au vert et elle peut concentrer ses efforts sur la Rust Belt, laquelle s’annonce comme l’un des théâtres les plus importante de l’élection.

Tout va bien donc pour Clinton … mais les nuages ne tardent pas à revenir. D’abord, il y a la menace que fait planer l’organisation WikiLeaks, laquelle, après avoir troublé la convention de Philadelphie avec le DNCleaks, a annoncé qu’elle publierait de nouvelles révélations sur la démocrate à partir d’octobre. Puis, il y a cette satanée affaire des emails, laquelle semblait morte et enterrée après l’annonce par le FBI début juillet qu’il n’y avait pas matière à poursuites, mais qui n’en connaît pas moins un nouveau soubresaut lorsque le Congrès obtient la remise du dossier confidentiel du FBI qui lui est consacrée et donne l’impression de vouloir se lancer dans une « enquête sur l’enquête ». Ensuite, c’est au tour de la Fondation Clinton de faire parler d’elle, avec un retour des accusations de conflits d’intérêt lorsque Hillary était Secrétaire d’Etat et que, dans le même temps, sa fondation recevait plusieurs millions de dollars en dons de la part de mécènes étrangers, dont l’Arabie saoudite et le Qatar.

Le coup le plus dur est toutefois d’un autre genre, puisqu’il va porter sur son état de santé. Voilà plusieurs semaines en effet que la sociosphère ultra-conservatrice bruit de rumeurs sur la constitution physique de la démocrate. La très grande majorité de ces allégations sont considérées comme fallacieuses et sans fondements, mais une série d’événements va leur donner du crédit.

Tout commence le 2 septembre, avec, dans le cadre de l’affaire des emails, la parution de notes d’enquêtes du FBI évoquant une commotion cérébrale subie par Clinton en 2012 et la formation d’un caillot sanguin dans le crâne qui s’en est suivi (ce qui était connu), mais aussi (ce qui ne l’était pas) … des pertes de mémoire. L’info fait mauvais genre, mais ce n’est qu’un apéritif. L’entrée est servie trois jours plus tard, lors d’un discours dans l’Ohio, au cours duquel Clinton est prise d’une quinte de toux qui s’éternise deux bonnes minutes. Si elle en profite pour lâcher une blagounette sur les crises d’allergie que Trump provoque chez elle, l’incident fait le délice de ses détracteurs les plus acharnés, lesquels entrent en transe six jours plus tard lorsque, au cours de la commémoration du 11 septembre qui se tient à Ground Zero, leur cible favorite est victime d’un malaise qui la contraint à s’éclipser. Le verdict tombe quelques heures plus tard : la candidate soufre d’une pneumonie et suspend sa campagne pour au moins deux jours. Cette affection lui avait en fait été diagnostiquée deux jours plus tôt, mais l’information a été tenue secrète pour ne pas faire de vagues, ce qui, au vu du déroulé du week-end, est plutôt raté et renforce les interrogations tant sur sa santé que sur son manque de transparence et sa manie de jouer avec la vérité.

Les difficultés de Clinton ne s’arrêtent toutefois pas là. Quelques jours auparavant, en effet, lors d’une levée de fonds à New York, elle déclare : « La moitié des partisans de Trump peuvent être placés dans ce que j’appelle le panier des pitoyables. Racistes, sexistes, homophobes, xénophobes, islamophobes, au choix ». Et, histoire de préciser son propos, elle ajoute : « ils sont irrécupérables, mais heureusement ils ne sont pas l’Amérique ». Du coup, évidemment, tollé : « Clinton stigmatise l’électorat de Donald Trump ! ». La candidate tente un rétropédalage en catastrophe, trop tard, le mal est fait, et, conjugué aux autres déboires de sa campagne, il ne tarde guère à se traduire par un resserrement marqué des sondages, cela au moment où arrive l’heure des débats.

 

De fin septembre à mi-octobre : Trump vole en éclats

 

Le premier débat est mauvais pour Trump. Le milliardaire paraît impréparé, se perd dans des élucubrations (sur son soutien ou non à la guerre en Irak ; sur ses impôts, sur la théorie Birther ; sur la controverse idiote concernant une ex-Miss Univers) et ne déstabilise jamais une Clinton qui n’a même pas besoin de faire des étincelles pour se montrer supérieure.

Les jours qui suivent ne sont guère meilleurs pour le républicain, qui va alors vivre trois semaines infernales. A peine le débat terminé surgissent en effet deux nouvelles casseroles. La première (l’accusation d’avoir cherché à investir à Cuba malgré l’embargo) ne fait que passer. La seconde en revanche est explosive : Donald Trump n’a, le plus légalement du monde, payé aucun impôt fédéral pendant dix-huit ans. En cause : de très lourdes pertes liées à ses casinos en 1995 ($915 millions d’après le New York Times qui révèle l’affaire), ce qui lui aurait permis de bénéficier d’abattements de cinquante millions par an jusqu’en 2013. Inutile de dire que la nouvelle fait très mauvais genre, d’autant plus que son corollaire est d’écorner le mythe inlassablement vanté de la réussite éclatante du milliardaire dans le monde des affaires.

Cette révélation n’est toutefois rien en comparaison à celle qui va surgir quelques jours plus tard. A peine en effet Donald Trump a-t-il l’occasion de se réjouir de la bonne performance de son colistier Mike Pence dans le débat des vice-présidents qu’éclate une bombe incroyablement plus puissante que toutes les précédentes : la diffusion d’un enregistrement vidéo datant de 2005 dans lequel le milliardaire se vante de prouesses comparables à des agressions sexuelles (« lorsque vous êtes une star, les femmes vous laissent faire ce que vous voulez », tel que « les attraper par la chatte »). Le cyclone qui s’abat sur le milliardaire est immédiat et souffle de toutes parts, y compris de son propre camp, certains républicains (John McCain, Mitt Romney, divers élus au Congrès …) appelant même à un retrait pur et simple de sa candidature. Tous les membres du parti ne vont pas si loin, mais le fait est que, pendant trois jours, le GOP va se déchirer sur la suite à donner à une campagne qui tourne au cauchemar. A l’arrivée, pas de consensus : le speaker de la Chambre Paul Ryan se désolidarise du magnat de l’immobilier : il ne lui retire pas son adoubement (endorsment) mais cesse de mener campagne en sa faveur. A l’opposé, Reince Priebus et Mitch McConnell (respectivement président du RNC et chef de la majorité républicaine au Sénat) adoptent une attitude moins tranchée et assurent qu’ils continueront à le soutenir, sans doute dans le but de garder un minimum de cohésion au parti et de ne pas mettre en péril les sièges de sénateurs et représentants mis en jeu le même jour que la présidentielle (voir Les autres élections du 8 novembre).

Entre-temps, la veille de la réunion ayant abouti à ces décisions, s’est déroulé ce que le site politico.com a qualifié de « ugliest debate ever » (« le débat le plus atroce ayant jamais eu lieu »). Dans une ambiance délétère, Trump fait pendant une demi-heure quasiment figure de prévenu assis sur le banc des accusés. Et c’est peu dire qu’il ne s’en sort pas très bien, d’autant que Clinton ne se prive pas de lui maintenir la tête sous l’eau.

Trump n’entend toutefois pas se laisser faire et réagit en attaquant la démocrate sur les frasques sexuelles de son mari, puis sur ses emails. Ensuite, le débat change de forme. Les sujets deviennent plus politiques, moins personnels, les affrontements verbaux s’espacent (mais ne disparaissent pas) et le combat devient spatiale et corporelle. Là encore, l’avantage va à Clinton, qui gère mieux ces paramètres que son adversaire et les lui impose même, tandis que lui les subit, probablement sans s’en rendre compte. A l’arrivée, Clinton s’est encore une fois montrée supérieure, mais Trump, malgré une prestation globalement faible, n’a pas craqué ni commis de bévue majeure qui l’aurait achevé. C’est peu, mais, pour lui, c’était sans doute l’essentiel, voire le mieux qu’il pouvait espérer.

La pression n’en continue pas moins de rester lourde dans les jours qui suivent, plusieurs femmes sortant du bois pour accuser le milliardaire d’avoir par le passé commis des agressions sexuelles à leur encontre, tandis que les démocrates mettent en avant la très respectée Michelle Obama (qui, comme son mari, fait activement campagne pour Clinton) pour convaincre davantage encore l’électorat féminin du danger que représente Donald Trump. De son côté, celui-ci réagit en envoyant sa femme Melania dans des émissions télévisées pour qu’elle prenne sa défense, mais aussi en menaçant de poursuites judiciaires celles qui l’accusent d’harcèlement. Enfin, il critique également l’actuelle First Lady et rappelle ses propos lors de la primaire démocrate de 2008, lorsqu’elle avait déclaré au sujet d’Hillary Clinton : « une femme qui ne tient pas son foyer ne peut pas diriger la Maison Blanche ».

La séquence infernale pour Donald Trump se clôture le 19 octobre par le troisième et dernier débat de la campagne. Un débat presque « normal » en comparaison avec les précédents, certes non dénué de moments chauds, certes toujours sous tension, mais avec des échanges moins malsains et un Trump enfin en mode « débat présidentiel », calme, relativement posé, et, surtout, préparé. A deux reprises toutefois, l’armure se fend, d’abord lorsqu’il refuse de s’engager à reconnaître le résultat des urnes, puis, une seconde, lorsque, suite à une énième pique de sa rivale, il ne peut se contenir et s’exclame : « What a nasty woman ! »  (« Quelle vilaine femme ! »).

Bilan des échanges : Trump a globalement été meilleur que lors des deux premiers débats, mais 1°) il n’en a pas pour autant surpassé Clinton, laquelle a pu se contenter de gérer et dont les petites provocations ont fini par payer, et 2°) les deux bourdes qu’il a commises ont en bonne partie annihilé les efforts consentis pendant le reste de la soirée. Sa sortie sur la reconnaissance ou non du verdict des urnes a été abondamment commentée, certains commentateurs parlant d’un « déni de démocratie ». Quelques jours plus tard, le magnat de l’immobilier tente d’éteindre la polémique en déclarant qu’il reconnaîtra le résultat s’il gagne ou si l’écart entre candidats est clair, tout en se réservant cependant la possibilité d’aller en justice en cas de situation qu’il jugerait douteuse. Niveau sondage en tout cas, le doute ne paraît plus permis : Clinton a nettement repris la main et semble sur une voie royale pour remporter le scrutin.

 

De mi-octobre à Election Day : WikiLeaks et les emails contre Clinton

 

Tout n’est pourtant pas rose pour la candidate démocrate, qui non seulement craint l’abstention, d’une part du côté de la minorité noire, et, d’autre part, chez les jeunes et les supporters de Bernie Sanders qui ne se reconnaissent pas dans celle qui a battu leur poulain et pourraient en partie se rabattre sur Gary Johnson ou Jill Stein. Dès lors, les figures de proue du parti montent au créneau : le couple Obama et Sanders lui-même s’impliquent toujours davantage et battent le terrain pour mobiliser les voix concernées.

Un autre danger toutefois se fait plus menaçant : WikiLeaks. Julian Assange a en effet tenu parole : depuis le 7 octobre, l’organisation qu’il a créée publie quotidiennement le contenu d’emails piratés sur un compte appartenant à John Podesta, le directeur de campagne d’Hillary Clinton.

Si la première salve de publications (contenant notamment les fameux discours prononcés par la démocrate lors de conférences qu’elle a données à Goldman Sachs) est totalement éclipsée par l’enregistrement des propos de Trump sur les femmes sorti le même jour, les suivantes ont davantage l’occasion de retenir l’attention. Au menu : pas de grandes révélations, mais une série de faits et commentaires qui entretiennent l’image d’une Clinton au discours variable (sur le libre-échange, sur le rôle des monarchies pétrolières dans la montée de Daech …) suivant le public auquel elle s’adresse , et dont le comportement dans certains domaines (notamment le mélange des genres et les risques de conflits d’intérêt en ce qui concerne sa Fondation) flirte encore et toujours avec les limites de l’éthique et de la légalité, contribuant ainsi à aviver le sentiment de manipulation et de duplicité qui lui sont régulièrement associées.

Le coup le plus dur va toutefois venir de là où elle ne s’y attendait plus. Alors qu’il avait lui-même déclaré début juillet qu’il n’y avait aucune raison d’entamer des poursuites contre l’ex-Secrétaire d’Etat dans le cadre de la controverse sur ses emails, le directeur du FBI James Comey relance l’affaire à dix jour du scrutin en annonçant la découverte de faits nouveaux. A la base de ce rebondissement, une affaire rocambolesque : Anthony Weiner, ex-mari d’une conseillère très proche de Clinton (Huma Abedin) est accusé d’avoir envoyé des messages à caractère sexuel à une mineure. Or, l’ordinateur qu’il a employé pour envoyer les messages incriminés était aussi utilisé par sa femme, laquelle y a stocké … des milliers d’emails liés à la correspondance non-sécurisée de Clinton. Ces emails sont-ils différents de ceux qui ont déjà été rendus publics ? Certains de ceux que l’ex-Secrétaire d’État a détruits s’y retrouvent-ils ? Nul le sait. Dans le doute, le directeur du FBI a envoyé une lettre au Congrès le vendredi 28 octobre pour annoncer que l’enquête demandait des travaux complémentaires afin de déterminer si le matériel mis à jour contient des informations classifiées, voire s’il est de quelque pertinence pour l’affaire en question.

Aussitôt, scènes de liesse chez les républicains et hurlements chez les démocrates qui sous-entendent, si pas un complot, au moins une manœuvre partisane de la part de Comey. De son côté, Clinton demande au FBI de publier toutes les informations dont il dispose afin de rapidement clarifier la situation, ajoutant pour sa part être confiante que ce rebondissement ne changera rien aux conclusions de juillet, puis s’étonnant du timing de ces révélations, qu’elle juge en outre peu étayées. Le son de cloche est évidemment radicalement opposé chez Trump, lequel déclare que « la corruption d’Hillary Clinton est d’une ampleur jamais vue auparavant ». Avec ce rebondissement, le magnat de l’immobilier est survolté, croit plus que jamais en ses chances de succès et multiplie à un rythme effréné les meetings dans les États-clefs.

Et de fait, les sondages se resserrent, et de fait la victoire de Clinton, inéluctable deux semaines auparavant, devient moins certaine. Moins certaine, mais sans non plus être vraiment remise en question. Les enquêtes d’opinion restent en sa faveur, le vote anticipé est massif et a démarré bien avant que l’affaire des emails ne rebondisse, laquelle est finalement ré-enterrée par le FBI à deux jours du scrutin. Quant à Trump, le chemin de la victoire passe par l’obligation absolue de triompher à la fois en Floride, en Caroline du Nord, en Ohio et dans au moins un de trois États pro-démocrates de la Rust Belt que sont le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie. Bref, lorsque se lève le jour J, l’unanimité est quasi totale chez les observateurs : Clinton ne peut pas perdre.

 

Election Day – Les lauriers de la colère

 

Les premiers verdicts sont sans surprises : Kentucky, Indiana et Virginie occidentale pour Trump, et le Vermont pour Clinton. Viennent ensuite rapidement les premières tendances pour la très attendue Floride. D’abord favorables à Clinton, les résultats se resserrent au fur et à mesure des dépouillements et, peu à peu, Donald Trump creuse l’écart. Les démocrates gardent confiance, sachant que la plupart des derniers comtés à être dépouillés leur sont acquis, mais leurs espoirs vont être douchés : Trump conserve son avance et a la Floride virtuellement gagnée. Pire pour Clinton : le même scénario se répète à l’identique en Caroline du Nord et en Ohio, deux États incertains où elle avait la possibilité de tuer dans l’œuf les ambitions du milliardaire. Désormais, Clinton est sur la défensive, c’est elle qui n’a plus aucun droit à l’erreur et ne peut en aucun cas perdre aucun des États considérés comme normalement acquis aux démocrates.

La première alerte vient de Virginie, le fief de Tim Kaine, le colistier d’Hillary Clinton. La lutte est chaude et Trump y est par moments donné en tête, avant finalement de s’incliner. Soulagement chez les démocrates. Mais de courte durée, tous les regards se portant déjà vers la zone où tout va désormais se jouer : la Rust Belt.

Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin : l’un de ces États va-t-il basculer ? Le premier à vaciller est le Wisconsin. Le Wisconsin … Un État considéré comme tellement ingagnable pour les républicains que Trump n’y a pas fait campagne. Et pourtant … Non seulement Trump le remporte, mais en plus il remporte aussi les deux autres États concernés, le Michigan ET la Pennsylvanie. Il ne lui en fallait qu’un. Il a les trois. Pour Clinton, les démocrates et même le président Obama, c’est une déconfiture totale. Un fiasco. Une humiliation.

Trump, lui, pavoise. Seul contre les démocrates, contre une large partie du système médiatique et même contre une partie des républicains, il a déjoué tous les pronostics et remporté une victoire qui, pour serrée qu’elle soit, ne souffre aucune discussion. Le vote populaire aura beau au bout du compte être en faveur de sa rivale (47,8% pour Clinton, 47,3% pour le républicain), le verdict des États est implacable : c’est plus de 300 grands électeurs que Trump obtient contre près de 230 à son adversaire.

Donald Trump 2015

Dans le camp Clinton, c’est la consternation. A New York, dans la salle où les démocrates avaient prévu de célébrer un triomphe, John Podesta appelle les supporters à rentrer chez eux et annonce que la candidate ne s’exprimera pas avant le lendemain matin. Un peu plus loin un peu plus tard, dans la même ville, Trump prononce son discours de victoire : le milliardaire est désormais le quarante-cinquième président des États-Unis. Un président-surprise, dont le succès doit à plusieurs paramètres (voir L’analyse détaillée du scrutin), mais dont le moteur fut sans conteste la colère : celle d’une partie grandissante des classes populaires déclassées ou craignant de l’être ; celle de ceux qu’hérissent la politique politicienne, l’affairisme et la corruption des élites dont, à tort et à raison, Clinton fait figure d’incarnation ; celle enfin à l’égard de l’immigration, toujours davantage perçue comme un danger, que ce soit sur le plan économique, sécuritaire, ou culturel.

Réelles mais aussi attisées par Trump et ses sympathisants, ces colères ont pris le pas sur toute une série d’autres arguments. Exit la compétence, l’expérience, le tempérament et l’honorabilité. Tant pis pour les insultes, les mensonges innombrables (bien que là-dessus sa rivale soit mal placée pour donner des leçons), les stigmatisations racistes et religieuses, et les pratiques d’affaires peu reluisantes et pas aussi brillantes que prétendues. Et tant pis aussi pour le manque de respect à l’égard des femmes et la défense des droits civiques. Non pas que toutes ces questions soient sans importance, non. Simplement, elles sont apparues secondaires à une frange de la population dont démocrates et nombre d’observateurs ont sous-estimé la taille et l’état d’esprit, une frange de la population qui s’est finalement révélée être suffisamment nombreuse pour faire basculer l’élection et offrir à Donald Trump une couronne de lauriers très particuliers.

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