Vote utile, ou vote de conviction ? Pour beaucoup, cette dernière semaine de campagne avant le premier tour a consisté à trouver une réponse à cette lancinante question. Si en 2002 ce dilemme était surtout venu sur le devant de la scène après le vote, et si en 2007 et 2012 il avait eu une importance modérée, cette année, en revanche, il pourrait bien être la clef du scrutin. Petit tour (non-exhaustif) des principaux argumentaires entendus :
- chez les partisans de Macron, c’est le spectre d’un duel Fillon-Le Pen qui « désespérerait les électeurs de gauche » (pour reprendre l’expression utilisée en mars par Valls au moment d’annoncer son vote en faveur du leader d’En Marche !) qui est agité à tour de bras pour persuader les gens de gauche d’effectuer un choix de raison et ne pas se disperser sur des candidats n’ayant aucune possibilité de gagner (affirment-ils), mais bien celle de faire perdre leur camp.
- du côté de Mélenchon, l’appel au vote utile vise avant tout les électeurs tentés par Hamon, toute voix se portant sur lui plutôt que sur le tribun de La France insoumise revenant à faire le jeu de la droite et du centre, et donc à pénaliser les idéaux de gauche. En parallèle, les aficionados de Mélenchon joue aussi du vote de conviction envers ceux qui sont tentés de voter Macron parce qu’ils craignent un second tour Le Pen-Fillon.
- chez Hamon aussi les appels au vote utile se mêlent à ceux en faveur du vote de conviction. Si les ressorts en faveur du vote de conviction sont faciles à comprendre (voter pour le candidat qui défend à la fois l’Europe et la protection des travailleurs), ceux en faveur du vote utile sont plus subtiles et tirés par les cheveux : ne pas couler financièrement le PS (en dessous de 5% des suffrages, près de €8 millions de dépenses ne seraient pas remboursées) et ne pas permettre à l’aile droite du parti (symbolisée par Manuel Valls) de reprendre la main après sa défaite à la primaire de janvier. A noter que le premier argument pourrait aussi marcher à rebours de l’effet désiré et convaincre des gens désireux de hâter l’implosion d’un parti affaibli de ne pas voter Hamon pour cette raison.
- chez Fillon, la cible des appels au vote utile visent les électeurs que le Penelopegate est susceptible d’avoir détourné de lui. S’ils sont partis vers Macron, le candidat LR explique qu’ils voteront pour la continuité de la politique menée par François Hollande et empêcheront la venue d’une vraie alternance. Le raisonnement vaut aussi peu ou prou pour ceux qui ont décidé de s’abstenir. Et s’ils sont partis vers Le Pen, alors, ils soutiennent un combat perdu d’avance, la candidate FN étant donnée battue par tout le monde au second tour.
- concernant Marine Le Pen, l’appel au vote utile consiste à dire que voter Fillon, Macron ou Hamon reviendra à voter pour les mêmes gens (cf. l’ancienne rengaine de l’UMPS) et que la candidate FN est la seule et unique incarnation crédible du vrai changement.
La semaine a également été marquée par la crainte d’actes terroristes. L’atmosphère générale s’est en effet fortement alourdie avec la fin de campagne et la peur d’un attentat organisé dans le but d’influencer sur l’élection. Cette peur est devenue plus tangible mardi, avec l’arrestation mardi à Marseille de deux personnes suspectées de vouloir commettre une telle attaque. Si la cible qu’ils comptaient viser n’est pas connues, des rumeurs n’en ont pas moins commencé à circuler, l’une d’elles (revenant avec insistance, mais non-confirmée) évoquant François Fillon. Quoi qu’il en soit, les principaux candidats avaient été avertis depuis la mi-avril par la police qu’un attentat les visant était de l’ordre du possible.
La menace était toutefois loin d’être écartée et, jeudi soir, alors que se déroulait la dernière émission rassemblant tous les candidats se déroulaient sur France 2, un policier était tué et deux autres blessés par un individu armé sur les Champs-Élysées (le compte-rendu de cette soirée et de l’émission politique qui avait lieu en même temps est disponible ici). Conséquence : un retour immédiat de la question terroriste sur le devant de la scène, avec François Fillon annonçant illico qu’il suspendait ses sorties prévues pour vendredi (imité peu après par Le Pen et Macron) puis affirmant que la lutte contre le terrorisme était sa première priorité, et continuant de soutenir mordicus (en dépit des démentis du ministère de l’Intérieur) que d’autres attaques avaient eu lieu à Paris(!). De son côté, Marine Le Pen a demandé la restauration immédiate des frontières nationales. Tous deux se sont attirés en retour les foudres du Premier ministre Bernard Cazeneuve, qui leur a publiquement reproché d’avoir choisi « l’outrance et la division ».
Quel impact sur l’élection de dimanche ? En 2012, les meurtres commis par Mohammed Merah n’avaient modifié la donne, mais s’étaient déroulés à un mois du scrutin. Depuis, les attaques terroristes de grande ampleur se sont multipliées et ont notamment débouché sur trois carnages. Néanmoins, le thème du terrorisme et de la sécurité est clairement resté en retrait par rapport à d’autres tout au long de la campagne, et la mort du policier jeudi à Paris, pour tragique et médiatisée sur le coup qu’elle soit, n’a pas la même portée que les tueries de Paris en janvier et novembre 2015, ou que celle de Nice en juillet 2016. Ces considérations se vérifieront-elles au soir du premier tour ? Tant de paramètres influençant cette élection, bien malin qui pourra décrypter dans le résultat le rôle joué par l’attentat de jeudi. Une Marine Le Pen nettement plus haut que prévu par les derniers sondages en serait un signe. Un Fillon qualifié peut-être aussi. Peut-être. Car si cette élection est aussi serrée que prédit, alors tout mouvement même marginal est susceptible de rebattre les cartes.
La semaine candidat par candidat
Le candidat de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon continue d’être la cible de vives attaques sur sa vision en matière de politique extérieure. Ses opinions passées en faveur de Chavez sont régulièrement vilipendées, d’autant plus que le Venezuela est pour l’heure en proie à de graves troubles politiques. Il doit également beaucoup s’expliquer sur l’Europe, dont il assuré mardi ne pas vouloir sortir, ni d’ailleurs ne vouloir sortir de l’euro. Une clarification sans doute pas inutile étant donné que l’un des chapitres de son programme est intitulé … « Sortir des traités européens ».
Autre attaque subie par le camp Mélenchon : celle déclenchée en fin de semaine par l’auteur de bandes dessinées Joan Sfar. Après avoir publié en ligne des caricatures critiques vis-à-vis des opinions de Mélenchon en matière de politique internationale (notamment sur la Russie et la Syrie), Sfar a en effet vu ses comptes sur les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook être pris d’assaut par des défenseurs du candidat de La France insoumise. En réaction, l’auteur de bandes dessinées a publié une tribune dans Le Monde dans laquelle il dénonce l’agressivité qui s’est abattue sur lui et déclare que beaucoup de journalistes et community managers l’avaient averti : « Attention, ne t’en prends jamais aux Insoumis car ça déclenche des torrents de messages et ça rend ta page Web inutilisable, c’est un matraquage comme même l’extrême-droite n’a jamais osé ». Poursuivant sa tribune, Sfar parle d’un « rouleau-compresseur », de méthodes « dégueulasses » et crois qu’il y a « beaucoup d’autocensure pour éviter ces matraquages ».
Dérapage incontrôlé de supporters trop enthousiastes (pour dire le moins) ? Rétorsion organisée digne d’un groupe totalitaire ? L’incident fait en tout cas parler de lui (la tribune de Sfar est l’article du Monde le plus partagé de la journée de vendredi) et avive des critiques entendues de manière de plus en plus fréquente concernant le comportement des fan-boys les plus hardcore de Mélenchon.
Dans un tout autre registre, Jean-Luc Mélenchon a, le mardi 18 avril, tenu un meeting simultanément dans sept ville (Nantes, Nancy, Montpellier, Grenoble, Clermont-Ferrand, Le Port). Comment ? En réutilisant la technique de l’hologramme qu’il avait déjà utilisée en février pour un meeting simultané à Lyon et Aubervilliers.
En meeting lundi au Zénith de Paris, Marine Le Pen est revenue aux fondamentaux du Front national et a sorti l’artillerie lourde contre l’immigration. Signe que l’inquiétude au vu du tassement dans les sondages est réelle et l’incite à muscler son discours. En tout cas, elle y va fort et annonce un moratoire immédiat sur toute l’immigration légale en cas de victoire finale, cela en vue de « faire le point de la situation avant de mettre en place de nouvelles règles et une nouvelle régulation ».
La tendance se poursuit jeudi soir sur France 2 : alors que l’attentat des Champs-Élysées n’a pas encore eu lieu, Marine Le Pen met spontanément la question terroriste sur la table, déplorant que ce sujet n’ait pas été davantage abordé durant la campagne. Plus tard, en fin d’émission, lors de l’ultime tour de parole offert à chaque candidat, elle s’en prendra de manière virulent au gouvernement sortant et, le lendemain, demandera la restauration immédiate des frontières nationales, ce qui lui vaudra une réplique immédiate du Premier ministre Bernard Cazeneuve pour déplorer son outrance et son travail de division.
En meeting à Nice lundi 17, François Fillon a beaucoup joué la carte de la sécurité et de l’identité française, à laquelle il a réitéré son attachement. A ce meeting figurait Christian Estrosi (le régional de l’étape), en dépit des dissensions entre les deux hommes depuis plusieurs semaines, notamment lorsque Estrosi avait reçu Macron en visite à Marseille.
La stratégie du rassemblement (fut-il de façade) s’est aussi manifestée mercredi par une visite dans les locaux de l’entreprise Deezer en compagnie d’Alain Juppé. Les divergences entre les deux anciens adversaires à la primaire de droite sont de notoriété publique, mais Juppé a accepté de les mettre de côté pour réaffirmer son soutien au candidat des Républicains. A noter que cette visite commune devait initialement avoir lieu à l’école 42 (un établissement d’enseignement informatique fondé notamment par Xavier Niel), mais a été annulée en raison de rumeurs annonçant que certains étudiants entendaient accueillir François Fillon avec des messages du genre Rends l’argent.
Dans un autre registre, François Fillon se fait remarquer en refusant un entretien au Monde parce que celui-ci refusait de garantir qu’aucune question ne serait posée sur les affaires. Pour se justifier, François Fillon a déclaré que ce ne sont pas « les médias qui décident du tempo, qui décident des questions, qui décident de la campagne ». Avant ce refus, le candidat LR avait également refusé de se rendre chez Jean-Claude Bourdin sur RMC.
Jeudi soir sur France 2, Fillon passe après l’annonce de l’attaque sur les Champs et affirme faire de la lutte contre le terrorisme sa priorité absolue. Au passage, il annonce annuler les déplacements qu’il avait prévus pour le lendemain.
Enfin, concernant le Penelopegate et ses ramifications, un démenti : les costumes rendus étaient bel et bien ceux que François Fillon s’était fait offrir en février et pas d’autres plus anciens. Robert Bourgi, le généreux ami à l’origine de ces cadeaux, avait laissé entendre le contraire la semaine passée, mais les enquêteurs ont obtenu la confirmation inverse auprès de la maison Arnys qui a confectionné ces habits.
En meeting à Paris lundi (comme Le Pen) à Bercy, Emmanuel Macron a repris des couleurs cette semaine et vu son tassement dans les sondages s’interrompre, voire s’inverser légèrement. Même si les écarts se sont resserrés par rapport à la situation voici un mois, le candidat de En Marche ! demeure en bonne position pour accéder au second tour et même devenir le prochain président de la République.
Le reste de sa semaine est marquée par un meeting à Nantes mercredi avec le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. De son côté, Manuel Valls a écrit mardi aux habitants de sa ville d’Évry pour leur demander de voter en faveur de Macron, une initiative qui, à en croire Le Monde, ne modifiera pas l’attitude d’En Marche qui compte bien présenter un candidat face à l’ex-Premier ministre pour les législatives.
Enfin, autre ralliement, celui d’un autre ancien Premier ministre, de Jacques Chirac cette fois : celui de Dominique de Villepin.
Quant à Benoît Hamon, sa dernière semaine de campagne s’est terminée quasi dans l’indifférence générale. Parmi ses derniers événements notables : un meeting mercredi sur la place de la République, où il a rassemblé environ 20 000 personnes, là où environ 130 000 s’étaient massées pour entendre Mélenchon le 18 mars.
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